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    "J'eus la tête entre ses genoux , puis entre ses cuisses .
    J'eus volontiers passé ma vie là , sur le balcon de ses délices,
    ma vie, si elle ne m'en avait impitoyablement chassé .
    J'aimais ce gatito sincère , cette petite fourrure reconnaissante, cette bouche qui ne savait mentir .
    Je l'aimais parce que cette si petite partie d'elle m'aimait totalement, sans équivoque. Indépendante d'elle et comme détachée .
    Je perdais là mon visage , m'y roulais , m'y frottais , y vivais de surprenantes moussons.
    Je me baignais là , dans cette Méditerranée de poche .
    Mon gatito parti, je te regrette plus encore que je ne la regrette.
    Si j'apprenais sa mort , c'est à la tienne que je songerais tout d'abord .
    Mon tout petit , mon velours , ma rivière sous les branches , mon bouquet , ma perdrix , mon orange , mon amour , mon vison , ma chaleur, ma sagine , mon totem."

    par René Fallet (extrait)

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  • Je ne dis pas : Il est trop tard,
    Nous avons laissé se mourir la terre,
    Elle ne portera plus
    Les fruits de la lumière
    Et ses graines de vie.
    Je dis : Le ciel demeure
    Ouvert au soleil, aux étoiles,
    Tous les arbres n’ont pas péri,
    Les feux brûlent aussi de joie.

    Je ne dis pas : Il fait si noir
    Que les hommes ne peuvent plus voir
    Le visage de ceux qu’ils aiment,
    Ils ont oublié le silence
    Mais ne savent plus se parler.
    Je dis : Chaque aube tient promesse,
    Elle te rend ce que la nuit
    Avait effacé pour toujours,
    Les fleurs, l’espoir, le goût du vent
    Sur les plages bleues du matin.

    Je ne dis pas : Les sources sont taries.
    Je dis que rien jamais n’est perdu,
    C’est à toi de creuser plus profond
    Pour que l’eau pure à nouveau jaillisse.

    Pierre Gabriel (Bordeaux, 1926-1994) 

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    Premiers soirs de printemps : tendresse inavouée...
    Aux tiédeurs de la brise écharpe dénouée...
    Caresse aérienne... encens mystérieux...
    Urne qu'une main d'ange incline au bord des cieux...
    Oh ! Quel désir ainsi, troublant le fond des âmes,
    Met ce pli de langueur à la hanche des femmes ?
    Le couchant est d'or rose et la joie emplit l'air,
    Et la ville, ce soir, chante comme la mer.
    Du clair jardin d'avril la porte est entr'ouverte,
    Aux arbres légers tremble une poussière verte.
    Un peuple d'artisans descend des ateliers ;
    Et, dans l'ombre où sans fin sonnent les lourds souliers,
    On dirait qu'une main de Véronique essuie
    Les fronts rudes tachés de sueur et de suie.
    La semaine s'achève, et voici que soudain,
    Joyeuses d'annoncer la pâques de demain,
    Les cloches, s'ébranlant aux vieilles tours gothiques,
    Et revenant du fond des siècles catholiques,
    Font tressaillir quand même aux frissons anciens
    Ce qui reste de foi dans nos vieux os chrétiens !
    Mais déjà, souriant sous ses voiles sévères,
    La nuit, la nuit païenne apprête ses mystères ;
    Et le croissant d'or fin, qui monte dans l'azur,
    Rayonne, par degrés plus limpide et plus pur.
    Sur la ville brûlante, un instant apaisée,
    On dirait qu'une main de femme s'est posée ;
    Les couleurs, les rumeurs s'éteignent peu à peu ;
    L'enchantement du soir s'achève... et tout est bleu !
    Ineffable minute où l'âme de la foule
    Se sent mourir un peu dans le jour qui s'écoule...
    Et le coeur va flottant vers de tendres hasards
    Dans l'ombre qui s'étoile aux lanternes des chars.
    Premiers soirs de printemps : brises, légères fièvres !
    Douceur des yeux ! ... tiédeur des mains ! ... langueur des lèvres !
    Et l'amour, une rose à la bouche, laissant
    Traîner à terre un peu de son manteau glissant,
    Nonchalamment s'accoude au parapet du fleuve,
    Et puisant au carquois d'or une flèche neuve,
    De ses beaux yeux voilés, cruel adolescent,
    Sourit, silencieux, à la nuit qui consent.

     

    Albert SAMAIN (1858-1900) *

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  • Le mal ! Ce n’est pas qu’abstraction, mythe ou fantasmagorie.
    Le bien n’est pas un son creux, un rêve, un fantôme.
    Tout notre passé, tout ce qui pour nous s’appelle présent
    Est inondé de leur sang et plein de leurs batailles.

    On ne saurait sur la balance peser le mal et le bien,
    On ne saurait prendre leurs mesures, forces et moyens nous manquent.
    Il pourrait être plaisant de recourir aux traits de l’allégorie.
    Mais ici à quoi bon la queue ou les griffes, Sataniel ou Moloch ?

    L’antique légende nous a montré le mal sous des peintures diverses.
    Le peuple, à sa façon, l’a figuré.
    La pensée terrifiée l’a cherché dans les ténèbres,
    Dans les sinuosités de la flamme, dans le tréfonds des eaux et des nuages.

    Ici à quoi bon l’incarnation, à quoi bon ici l’apparence,
    De la lente ou soudaine apparition des démons,
    S’il est vrai que dans la nature entière chacun des mouvements
    Est un phénomène du mal, une souffrance, une douleur, une épouvante !

    Et jusqu’aux plus purs élans des pensées pures
    Que le poison du mal frappe à mort !
    Mais tous les artifices, toutes les embûches de Satan,
    Combien ils semblent beaux, affables et généreux !

    Constantin SLOUTCHEVSKI

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    Au plus noir du bois la lune descend;
    Et des troncs moussus aux cimes des plantes,
    Son regard fluide et phosphorescent
    Fait trembler aux bords des corolles closes
    Les larmes des choses.

    Lorsque l'homme oublie au fond du sommeil,
    La vie éternelle est dans les bois sombres;
    Dans les taillis veufs du brûlant soleil
    Sous la lune encor palpitent leurs ombres,
    Et jamais leur âme, au bout d'un effort,
    Jamais ne s'endort!

    Le clair de la lune en vivantes gerbes
    Sur les hauts gazons filtre des massifs.
    Et les fronts penchés, les pieds dans les herbes,
    Les filles des eaux, en essaims pensifs,
    Sous les saules blancs en rond sont assises,
    Formes indécises.

    La lune arrondit son disque lointain
    Sur le bois vêtu d'un brouillard magique
    Et dans une eau blême aux reflets d'étain;
    Et ce vieil étang, miroir nostalgique,
    Semble ton grand oeil, ô nature! Hélas!
    Semble un grand oeil las.

    Léon Dierx *

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