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    Tu m'as dit si tu m'écris
    Ne tape pas tout à la machine
    Ajoute une ligne de ta main
    Un mot un rien oh pas grand chose
    Oui oui oui oui oui oui oui oui

    Ma Remington est belle pourtant
    Je l'aime beaucoup et travaille bien
    Mon écriture est nette et claire
    On voit très bien que c'est moi qui l'ai tapée

    Il y a des blancs que je suis seul à savoir faire
    Vois donc l'oeil qu'à ma page
    Pourtant, pour te faire plaisir j'ajoute à
    l'encre
    Deux trois mots
    Et une grosse tache d'encre
    Pour que tu ne puisses pas les lire.

    Blaise Cendrars
    "Du monde entier au cœur du monde"*

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    Nuit. Et j’ai avancé ma main de mendiant
    vers ton ombre, cramponnée
    aux murs nets, ocre,
    de la faim.

    Au-dessus de nous, le ciel a fait
    éclater son secret.
    Au-dessus de nous, une charrue a fendu la terre
    en deux. J’ai vidé
    les constellations, puis
    t’ai fourrée à nouveau d’éternité.

    Nuit. Et je t’ai verrouillé dans
    la question
    qui s’écoulait de moi avec la rosée. Et j’ai appris par cœur
    le silence. Et j’ai bâti une réponse
    pour personne. Et je suis remonté
    de ton corps profond, lumineux.
    Et me suis perdu moi-même
    à jamais.

    "Disparitions"  Paul Auster *

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    Sous son maquillage aux souriantes couleurs,
    le clown triste dissimule son chagrin.
    Il se courbe sous le fardeau de la douleur?
    son amie si fidèle depuis tant de matins.
    Il allume des étoiles au fond de ses yeux,
    Et présente ses lèvres fardées de bonheur
    aux regards toujours en quête de merveilleux ;
    pourtant, ils sont aveugles devant son malheur.
    Il n’est pas étranger à cette indifférence ;
    pour voir fleurir des sourires sur les visages,
    il enferme, derrière son masque, sa souffrance
    et son habitude, ses pleurs et leurs ravages.
    » Qu’importe « se dit-il… » Ne sont-ils pas ravis ! »
    Il s’est réjoui de tous les rires des enfants
    passionnés, assis au premier rang de sa vie,
    et leur a offert toutes les rides du temps.
    Il n’attend ni gratitude ni compassion,
    juste un peu de compréhension et d’indulgence,
    quand s’éteindront les lumières de la raison
    et se fermeront les portes de la souffrance.
    Dans le silence du soir, il entend l’espoir
    l’implorer de sécher ses larmes de détresse,
    d’enlever les artifices de son histoire
    de petit clown triste et de goûter à l’ivresse.
     
    Michèle BRODOWICZ
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    La solitude est lourde et sans rien qui la trouble,
    Sous les nuages noirs aux rauques grondements
    S’étend sans fin la plaine, où les marais dormants
    Étalent leur surface empuantie et trouble.

    Par la morne étendue un bouquet de roseaux
    Pousse de ci, de là ; parfois une cigogne
    Sur une patte, au bord d’un marais, se renfrogne
    Sans bouger, sans songer, en contemplant les eaux.

    Mon âme est ce pays, et pas une pensée
    Depuis les jours enfuis ne l’a plus traversée ;
    Plus un ancien bonheur, plus un chagrin nouveau :

    Rien que mon seul amour, que votre seule image,
    Pareille au triste oiseau rêvant du paysage,
    Qui veille en ma mémoire et hante mon cerveau.

    André Fontainas *

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    J’ai tant regardé la rivière
    et le soleil
    et le doux ciel,
    que j’ai lâché mon roseau vert.
    Il est allé dans l’eau si claire,
    il est allé jusqu’à la mer !

    J’ai voulu cueillir aussitôt
    un autre roseau si beau,
    mais je me suis coupée aux herbes,
    mes cheveux ont traîné dans l’eau...
    (Ah ! rendez-moi donc mon roseau
    et ma prairie et ma rivière !)

    J’ai vu passer le fils du roi ;
    il m’a dit : « Ma belle, pourquoi,
    le long de la jolie rivière,
    pourquoi pleures-tu là ? »
    Ha ! Ha !
    C’était
    le fils du roi.

    Il m’a dit : « Viens avec moi,
    et si tu veux tu seras reine.
    Tu auras pour filer la laine
    un rouet d’or, et un fuseau
    aussi léger qu’un os d’oiseau !»

    Las! je suis reine et prisonnière
    dans un royaume merveilleux.
    Mon cœur, mon cœur a tant de peine,
    pleurez, pleurez, mes yeux.
    Où sont mes sœurs et ma rivière ?
    J’ai perdu mon roseau vert.

    Madeleine Ley *

     
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