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    Aux branches que l'air rouille et que le gel mordore,
    Comme par un prodige inouï du soleil,
    Avec plus de langueur et plus de charme encore,
    Les roses du parterre ouvrent leur coeur vermeil.

    Dans sa corbeille d'or, août cueillit les dernières :
    Les pétales de pourpre ont jonché le gazon.
    Mais voici que, soudain, les touffes printanières
    Embaument les matins de l'arrière-saison.

    Les bosquets sont ravis, le ciel même s'étonne
    De voir, sur le rosier qui ne veut pas mourir,
    Malgré le vent, la pluie et le givre d'automne,
    Les boutons, tout gonflés d'un sang rouge, fleurir.

    En ces fleurs que le soir mélancolique étale,
    C'est l'âme des printemps fanés qui, pour un jour,
    Remonte, et de corolle en corolle s'exhale,
    Comme soupirs de rêve et sourires d'amour.

    Tardives floraisons du jardin qui décline,
    Vous avez la douceur exquise et le parfum
    Des anciens souvenirs, si doux, malgré l'épine
    De l'illusion morte et du bonheur défunt.

    Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) *

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    Aucune paix en moi, qui ne puis combattre,
    Je crains, espère, brûle, je suis de glace;
    Je vole par le ciel et je gis sur terre,
    Je n'étreins rien, j'ai dans mes bras le monde.

    Et celle qui m'emprisonne, elle ne m'ouvre
    Ni ne défait mes liens ni ne veut de moi.
    Ainsi me tue Amour, qui ne me libère,
    Ni ne me veut en vie, ni en repos.

    Je vois sans yeux et sans bouche je crie,
    Je veux mourir mais appelle au secours,
    J'ai de moi haine et d'elle, ah, quel amour!

    Je broute la douleur, je ris en pleurs,
    Je déteste aussi bien la mort que la vie,
    Madame, je suis tel à cause de vous.

    "Je vois sans yeux et sans bouche je crie" Pétrarque *

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    Te rencontrer, sans te réduire
    Te désirer, sans te posséder
    T'aimer, sans t'envahir
    Te dire, sans me trahir
    Te garder, sans te dévorer
    T'agrandir, sans te perdre
    T'accompagner, sans te guider
    Être ainsi moi-même au plus secret de toi.
    Jacques Salomé *

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    Mallarmé.
    C'est un poème qui emprunte à son premier vers son titre : Une négresse par le démon secouée. Le voici :

    Une négresse par le démon secouée
    Veut goûter une enfant triste de fruits nouveaux
    Et criminels aussi sous leur robe trouée,
    Cette goinfre s'apprête à de rusés travaux :

    A son ventre compare heureuses deux tétines
    Et, si haut que la main ne le saura saisir,
    Elle darde le choc obscur de ses bottines
    Ainsi que quelque langue inhabile au plaisir.

    Contre la nudité peureuse de gazelle
    Qui tremble, sur le dos tel un fol éléphant
    Renversée elle attend et s'admire avec zèle,
    En riant de ses dents naïves à l'enfant ;

    Et, dans ses jambes où la victime se couche,
    Levant une peau noire ouverte sous le crin,
    Avance le palais de cette étrange bouche
    Pâle et rose comme un coquillage marin.

     

    "L'homme qui regarde"  Alberto Moravia
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  • Paul Éluard – Comprenne qui voudra

    En ce temps là, pour ne pas châtier les coupables, on maltraitait des filles.
    On allait même jusqu’à les tondre.

    Comprenne qui voudra
    Moi mon remords ce fut
    La malheureuse qui resta
    Sur le pavé
    La victime raisonnable
    À la robe déchirée
    Au regard d’enfant perdue
    Découronnée défigurée
    Celle qui ressemble aux morts
    Qui sont morts pour être aimés

    Une fille faite pour un bouquet
    Et couverte
    Du noir crachat des ténèbres

    Une fille galante
    Comme une aurore de premier mai
    La plus aimable bête

    Souillée et qui n’a pas compris
    Qu’elle est souillée
    Une bête prise au piège
    Des amateurs de beauté

    Et ma mère la femme
    Voudrait bien dorloter
    Cette image idéale
    De son malheur sur terre.

     

    Paul Éluard écrit ce poème en 1944, à la Libération. Il est publié clandestinement dans le recueil de poèmes Au rendez-vous allemand. *

     

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