• J'allais au jardin d'amour
    et vis ce que jamais je n'avais vu
    une chapelle était bâtie au milieu
    là où, sur le gazon, j'avais coutume de jouer

    Les portes de cette chapelle étaient closes,
    et au dessus était inscrit : "tu ne dois pas";
    alors je revins au jardin d'amour
    où croissaient jadis tant de suaves fleurs;

    mais je le vis rempli de tombes
    et de dalles où eussent dû être des fleurs
    des prêtres en robes noires y passaient et repassaient,
    attachant avec des ronces mes joies et mes désirs.

     

    Le Mariage du Ciel et de l'Enfer ; Chants d'Expérience de William Blake *

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    À la tombée du jour, penché à la fenêtre,
    Et en sachant de biais qu’il y a des champs devant,
    Je lis à m’en brûler les yeux
    Le Livre de Cesário Verde.

    Que j’ai pitié de lui ! C’était un campagnard
    Qui marchait captif en liberté dans la ville.
    Mais la façon dont il regardait les maisons,
    Et la façon dont il considérait les rues,
    Et la manière dont il se souciait des choses
    Appartient à celui qui regarde les arbres,
    Et à celui qui baisse les yeux sur la route où il va en marchant
    Et marche en considérant les fleurs qu’il y a dans les champs…

    C’est pourquoi il avait cette grande tristesse
    Qu’il n’a toutefois jamais avouée,
    Mais il marchait en ville ainsi qu’on marche à la campagne
    Et triste autant qu’à presser des fleurs dans des livres
    Et qu’à mettre des plantes en pots…

    F. Pessoa

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

     

    Vois-tu ? c’est un pays de songe ;
    Le parc est plein de tourterelles,
    Un escalier d’or pâle plonge
    Parmi les fleurs surnaturelles.

    Les éperviers, l’aile charmée,
    S’endorment sur les tours fleuries ;
    Des paons épars dans la ramée
    Éparpillent des pierreries.

    Joyeuses, sur les claires ondes
    D’un golfe paisible et splendide,
    Des galères aux voiles blondes
    Appareillent pour l’Atlantide.

    Et des lys ravis par les brises
    Neigent dans la douce venelle,
    Tandis qu’au loin des voix éprises
    Proclament la joie éternelle.

    Mais toi, ma sœur, blanche et plaintive,
    Laissant choir la quenouille lasse,
    Telle qu’une reine captive
    Tu te penches sur la terrasse.

    Et parmi les lourdes bannières
    Qui claquent dans le vent sonore,
    Tu lèves tes mains prisonnières
    Comme pour cueillir de l’aurore.

    Ephraïm Michaël

    Partager via Gmail

    votre commentaire

  • C’est mon premier domicile
    Il était tout arrondi
    Bien souvent je m’imagine
    Ce que je pouvais bien être...

    Les pieds sur ton cœur maman
    Les genoux tout contre ton foie
    Les mains crispées au canal
    Qui aboutissait à ton ventre

    Le dos tordu en spirale
    Les oreilles pleines les yeux vides
    Tout recroquevillé tendu
    La tête presque hors de ton corps

    Mon crâne à ton orifice
    Je jouis de ta santé
    De la chaleur de ton sang
    Des étreintes de papa
    Bien souvent un feu hybride
    Electrisait mes ténèbres
    Un choc au crâne me détendait
    Et je ruais sur ton cœur

    Le grand muscle de ton vagin
    Se resserrait alors durement
    Je me laissais douloureusement faire
    Et tu m’inondais de ton sang

    Mon front est encore bosselé
    De ces bourrades de mon père
    Pourquoi faut-il se laisser faire
    Ainsi à moitié étranglé ?

    Si j’avais pu ouvrir la bouche
    Je t’aurais mordu
    Si j’avais pu déjà parler
    J’aurais dit :

    Merde, je ne veux pas vivre.

    Blaise Cendrars, "Le Ventre de ma Mère", dans Ça ira, n° 18, mai 1922.

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Le chemin sur lequel je cours
    Ne sera pas le même quand je ferai demi-tour
    J'ai beau le suivre tout droit
    Il me ramène à un autre endroit
    Je tourne en rond mais le ciel change
    Hier j'étais un enfant
    Je suis un homme maintenant
    Le monde est une drôle de chose
    Et la rose parmi les roses
    Ne ressemble pas à une autre rose.


    Robert DESNOS - La Géométrie de Daniel (1939)

    Partager via Gmail

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique