• Les nuances du vert aux branches balancées
    Sont comme une fraîcheur exquise pour les yeux.
    On voit les arbres fuir jusqu'au lointain des yeux,
    Ayant chacun sa teinte aux feuilles déplissées.

    Tout le long des maisons les cimes vont, pressées.
    L'une est couleur de l'herbe au ton délicieux,
    L'autre, plus sombre, est comme un velours précieux,
    L'autre est pareille à l'eau des vagues apaisées..

    Une immense émeraude a, cette nuit, coulé
    Sur les arbres émus par l'azur étoile,
    Comme une lente pluie inégalement verte..

    Et maintenant, heureux de leur neuve beauté,
    Les arbres, dont la grâce au soleil est offerte,
    Au moindre vent rôdeur commencent à chanter.

    Albert Lozeau "Le miroir des Jours"

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  • Femme, songe où fusionnent toutes mes fictions,
    tu as vibré comme réelle dans mes nerfs;
    pleurant dans mes sentiers de l'illusion perdue,
    j'ai senti m'effleure ta beauté inconnue.

    En flétrissant mes rêves et mes folles chimères
    je t'ai forgée à brides de ciel et de chair,
    comme une résurgence ou pareille au printemps
    dans la forêt de tant d'aberrants idéaux...

    Ta chair divine et parfumée, je l'ai rêvée
    au milieu des tourments morbides de mon être;
    et bien que floue, je sais, Aimée, comment tu es,
    fiction faite réalité en chair de femme...

    Je te cherche dans les yeux de toutes les femmes,
    je te cherche et jamais n'ai pu te rencontrer.
    Dans ma désillusion s'abrite l'illusion
    que tu es ou seras plus belle qu'aucune autre.

    Mes rêves te voudront éternellement mienne,
    jaillissant de la nuit de toutes mes tristesses,
    germe de joies étranges qui aviveront
    la flamme que répand ta beauté inconnue.

     

    Neruda

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  •  




    Tant que mes yeux pourront larmes épandre
    A l’heur passé avec toi regretter :
    Et qu’aux sanglots et soupirs résister
    Pourra ma voix, et un peu faire entendre :

    Tant que ma main pourra les cordes tendre
    Du mignard Luth, pour tes grâces chanter :
    Tant que l’esprit se voudra contenter
    De ne vouloir rien fors que toi comprendre :

    Je ne souhaite encore point mourir.
    Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
    Ma voix cassée, et ma main impuissante,

    Et mon esprit en ce mortel séjour
    Ne pouvant plus montrer signe d’amante :
    Prierai la mort noircir mon plus clair jour.

    Louise Labé

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  •  

    Ce que j'aime à voir, ce que j'aime au monde,
     Ce que j'aime à voir,
     Veux-tu le savoir ?
    Ce sont tes beaux yeux, c'est ta taille ronde,
     Ce sont tes beaux yeux,
     Tes yeux langoureux.

    Ce que j'aime encore je vais te l'apprendre,
     Ce que j'aime encore
     Plus qu'aucun trésor,
    Ce sont tes doux chants, c'est ta voix si tendre,
     Ce sont tes doux chants,
     Plaintifs et touchants.

    Ce qui cause en moi la plus douce ivresse,
     Ce qui cause en moi
     Le plus tendre émoi,
    C'est de voir ton cœur vibrer de tendresse,
     C'est de voir ton cœur
     Trembler de bonheur.

    Enfin, si tu veux répondre à ma flamme,
     Enfin si tu veux
     Combler tous mes vœux,
    Jusqu'au dernier jour garde-moi ton âme,
     Jusqu'au dernier jour
     Aime-moi d'amour.

    François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
    Recueil : Les loisirs lyriques (1866) *

     

     

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  • A Armance.

    Eh quoi ! vous vous plaignez, vous aussi, de la vie !
    Vous avez des douleurs, des ennuis, des dégoûts !
    Un dard sans force aux yeux, sur la lèvre une lie,
    Et du mépris au coeur ! - Hélas ! c'est comme nous !
    Lie aux lèvres ? - poison, reste brûlant du verre ;
    Dard aux yeux ? - rapporté mi-brisé des combats ;
    Et dans le coeur mépris ? - Éternel Sagittaire
    Dont le carquois ne tarit pas !

    Vous avez tout cela, - comme nous, ô Madame !
    En vain Dieu répandit ses sourires sur vous !
    La Beauté n'est donc pas tout non plus pour la femme
    Comme en la maudissant nous disions à genoux,
    Et comme tant de fois, dans vos soirs de conquête,
    Vous l'ont dit vos amants, en des transports perdus,
    Et que, pâle d'ennui, vous détourniez la tête,
    Ô Dieu ! n'y pensant déjà plus...

    Ah ! non, tu n'es pas tout, Beauté, - même pour Celle
    Qui se mirait avec le plus d'orgueil en toi,
    Et qui, ne cachant pas sa fierté d'être belle,
    Plongeait les plus grands coeurs dans l'amour et l'effroi !
    Ah ! non, tu n'es pas tout... C'est affreux ; mais pardonne !
    Si l'homme eût pu choisir, il n'eût rien pris après ;
    Car il a cru longtemps, au bonheur que tu donne,
    Beauté ! que tu lui suffirais !

    Mais l'homme s'est trompé, je t'en atteste, Armance !
    Qui t'enivrais de toi comme eût fait un amant,
    Puisant à pleines mains dans ta propre existence,
    Comme un homme qui boit l'eau d'un fleuve en plongeant.
    Pour me convaincre, hélas ! montre-toi tout entière ;
    Dis-moi ce que tu sais... l'amère vérité.
    Ce n'est pas un manteau qui cache ta misère,
    C'est la splendeur de la Beauté !

    Dis-moi ce que tu sais... De ta pâleur livide,
    Que des tempes jamais tes mains n'arracheront
    Et qui semble couler d'une coupe homicide
    Que le Destin railleur renversa sur ton front ;
    De ton sourcil froncé, de l'effort de ton rire,
    De ta voix qui nous ment, de ton oeil qui se tait,
    De tout ce qui nous trompe, hélas ! et qu'on admire,
    Ah ! fais-moi jaillir ton secret.

    Dis tout ce que tu sais... Rêves, douleur et honte,
    Désirs inassouvis par des baisers cuisants,
    Nuits, combats, voluptés, souillures qu'on affronte
    Dans l'infâme fureur des échevèlements !
    Couche qui n'est pas vide et qu'on fuit, - fatale heure
    De la coupable nuit dont même on ne veut plus,
    Et qu'on s'en va finir - au balcon - où l'on pleure,
    Et qui transit les coudes nus !

    Ah ! plutôt, ne dis rien ! car je sais tout, Madame !
    Je sais que le Bonheur habite de beaux bras ;
    Mais il ne passe pas toujours des bras dans l'âme...
    On donne le bonheur, on ne le reçoit pas !
    La coupe où nous buvons n'éprouve pas l'ivresse
    Qu'elle verse à nos coeurs, brûlante volupté !
    Vous avez la Beauté, - mais un peu de tendresse,
    Mais le bonheur senti de la moindre caresse,
    Vaut encor mieux que la Beauté.

     

    Jules BARBEY D'AUREVILLY (1807-1889)

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