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    Ce que j'aime à voir, ce que j'aime au monde,
     Ce que j'aime à voir,
     Veux-tu le savoir ?
    Ce sont tes beaux yeux, c'est ta taille ronde,
     Ce sont tes beaux yeux,
     Tes yeux langoureux.

    Ce que j'aime encore je vais te l'apprendre,
     Ce que j'aime encore
     Plus qu'aucun trésor,
    Ce sont tes doux chants, c'est ta voix si tendre,
     Ce sont tes doux chants,
     Plaintifs et touchants.

    Ce qui cause en moi la plus douce ivresse,
     Ce qui cause en moi
     Le plus tendre émoi,
    C'est de voir ton cœur vibrer de tendresse,
     C'est de voir ton cœur
     Trembler de bonheur.

    Enfin, si tu veux répondre à ma flamme,
     Enfin si tu veux
     Combler tous mes vœux,
    Jusqu'au dernier jour garde-moi ton âme,
     Jusqu'au dernier jour
     Aime-moi d'amour.

    François-Marie Robert-Dutertre (1815-1898)
    Recueil : Les loisirs lyriques (1866) *

     

     

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  • A Armance.

    Eh quoi ! vous vous plaignez, vous aussi, de la vie !
    Vous avez des douleurs, des ennuis, des dégoûts !
    Un dard sans force aux yeux, sur la lèvre une lie,
    Et du mépris au coeur ! - Hélas ! c'est comme nous !
    Lie aux lèvres ? - poison, reste brûlant du verre ;
    Dard aux yeux ? - rapporté mi-brisé des combats ;
    Et dans le coeur mépris ? - Éternel Sagittaire
    Dont le carquois ne tarit pas !

    Vous avez tout cela, - comme nous, ô Madame !
    En vain Dieu répandit ses sourires sur vous !
    La Beauté n'est donc pas tout non plus pour la femme
    Comme en la maudissant nous disions à genoux,
    Et comme tant de fois, dans vos soirs de conquête,
    Vous l'ont dit vos amants, en des transports perdus,
    Et que, pâle d'ennui, vous détourniez la tête,
    Ô Dieu ! n'y pensant déjà plus...

    Ah ! non, tu n'es pas tout, Beauté, - même pour Celle
    Qui se mirait avec le plus d'orgueil en toi,
    Et qui, ne cachant pas sa fierté d'être belle,
    Plongeait les plus grands coeurs dans l'amour et l'effroi !
    Ah ! non, tu n'es pas tout... C'est affreux ; mais pardonne !
    Si l'homme eût pu choisir, il n'eût rien pris après ;
    Car il a cru longtemps, au bonheur que tu donne,
    Beauté ! que tu lui suffirais !

    Mais l'homme s'est trompé, je t'en atteste, Armance !
    Qui t'enivrais de toi comme eût fait un amant,
    Puisant à pleines mains dans ta propre existence,
    Comme un homme qui boit l'eau d'un fleuve en plongeant.
    Pour me convaincre, hélas ! montre-toi tout entière ;
    Dis-moi ce que tu sais... l'amère vérité.
    Ce n'est pas un manteau qui cache ta misère,
    C'est la splendeur de la Beauté !

    Dis-moi ce que tu sais... De ta pâleur livide,
    Que des tempes jamais tes mains n'arracheront
    Et qui semble couler d'une coupe homicide
    Que le Destin railleur renversa sur ton front ;
    De ton sourcil froncé, de l'effort de ton rire,
    De ta voix qui nous ment, de ton oeil qui se tait,
    De tout ce qui nous trompe, hélas ! et qu'on admire,
    Ah ! fais-moi jaillir ton secret.

    Dis tout ce que tu sais... Rêves, douleur et honte,
    Désirs inassouvis par des baisers cuisants,
    Nuits, combats, voluptés, souillures qu'on affronte
    Dans l'infâme fureur des échevèlements !
    Couche qui n'est pas vide et qu'on fuit, - fatale heure
    De la coupable nuit dont même on ne veut plus,
    Et qu'on s'en va finir - au balcon - où l'on pleure,
    Et qui transit les coudes nus !

    Ah ! plutôt, ne dis rien ! car je sais tout, Madame !
    Je sais que le Bonheur habite de beaux bras ;
    Mais il ne passe pas toujours des bras dans l'âme...
    On donne le bonheur, on ne le reçoit pas !
    La coupe où nous buvons n'éprouve pas l'ivresse
    Qu'elle verse à nos coeurs, brûlante volupté !
    Vous avez la Beauté, - mais un peu de tendresse,
    Mais le bonheur senti de la moindre caresse,
    Vaut encor mieux que la Beauté.

     

    Jules BARBEY D'AUREVILLY (1807-1889)

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    L'œil tué n'est pas mort
    Un coin le fend encor
    Encloué je suis sans cercueil
    On m'a planté le clou dans l'œil
    L'œil cloué n'est pas mort
    Et le coin entre encor

    Deus misericors
    Deus misericors
    Le marteau bat ma tête en bois
    Le marteau qui ferra la croix
    Deus misericors
    Deus misericors

    Les oiseaux croque-morts
    Ont donc peur à mon corps
    Mon Golgotha n'est pas fini
    Lamma lamma sabacthani
    Colombes de la Mort
    Soiffez après mon corps

    Rouge comme un sabord
    La plaie est sur le bord
    Comme la gencive bavant
    D'une vieille qui rit sans dent
    La plaie est sur le bord
    Rouge comme un sabord

    Je vois des cercles d'or
    Le soleil blanc me mord
    J'ai deux trous percés par un fer
    Rougi dans la forge d'enfer
    Je vois un cercle d'or
    Le feu d'en haut me mord

    Dans la moelle se tord
    Une larme qui sort
    Je vois dedans le paradis
    Miserere, De profundis
    Dans mon crâne se tord
    Du soufre en pleur qui sort

    Bienheureux le bon mort
    Le mort sauvé qui dort
    Heureux les martyrs, les élus
    Avec la Vierge et son Jésus
    Ô bienheureux le mort
    Le mort jugé qui dort

    Un Chevalier dehors
    Repose sans remords
    Dans le cimetière bénit
    Dans sa sieste de granit
    L'homme en pierre dehors
    A deux yeux sans remords

    Ho je vous sens encor
    Landes jaunes d'Armor
    Je sens mon rosaire à mes doigts
    Et le Christ en os sur le bois
    À toi je baye encor
    Ô ciel défunt d'Armor

    Pardon de prier fort
    Seigneur si c'est le sort
    Mes yeux, deux bénitiers ardents
    Le diable a mis ses doigts dedans
    Pardon de crier fort
    Seigneur contre le sort

    J'entends le vent du nord
    Qui bugle comme un cor
    C'est l'hallali des trépassés
    J'aboie après mon tour assez
    J'entends le vent du nord
    J'entends le glas du cor"

    Menez Arrez

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    Enfant, je m'étais dit et souvent répété :
    " Jamais, jamais d'amour ; c'est assez de la gloire ;
    En des siècles sans nombre étendons ma mémoire,
    Et semons ici-bas pour l'immortalité. "

    Plus tard je me disais : " Amour et volupté,
    Allez, et gloire aussi ! que m'importe l'histoire ?
    Fantôme au laurier d'or, vierges au cou d'ivoire,
    Je vous fuis pour l'étude et pour l'obscurité. "

    Ainsi, jeune orgueilleux, ainsi longtemps disais-je ;
    Mais comme après l'hiver, en nos plaines, la neige
    Sous le soleil de mars fond au premier beau jour,

    Je te vis, blonde Hélène, et dans ce coeur farouche,
    Aux rayons de tes yeux, au souffle de ta bouche,
    Aux soupirs de ta voix, tout fondit en amour.

     

    Charles SAINTE-BEUVE (1804-1869)

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  • L'ambre, le seigle mûr, le miel plein de lumière
    Dont le gâteau ressemble aux grottes de Fingal,
    Comparés aux cheveux dont mon amie est fière
    N'offrent pas un éclat égal.

    Que mon amie heureuse auprès de moi s'endorme,
    Je ne puis me lasser de voir dans son sommeil
    Ses cheveux répandus faire à sa blanche forme
    Un large berceau de soleil.

    Quand, au creux de son bras plié devant sa joue,
    Elle a patiemment peigné leur écheveau,
    Elle renverse un peu la tête et les secoue
    Comme des torches sur sa peau.

    Son buste nu frissonne en sentant leur caresse :
    Elle est à son miroir, debout ; ils sont si longs
    Que leur dernière boucle expire avec mollesse
    Sur les roses de ses talons.

     

    Charles GUÉRIN (1873-1907) *

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