• Livre :
    Attention

    Et comme un livre ancien

    « C’est ici », disait l’un. L’autre disait : « C’est là :

    La place où je baisai vos doigts ?– Oui, la voilà.

    – Vos lèvres ? – Oui ! c’est elle ! » Et leur pèlerinage,

    De baisers en baisers sur la bouche ou les doigts,

    Continuait ainsi qu’un chemin de la croix.

    Ils débordaient tous deux d’allégresses passées,

    Élans que prend le cœur vers les bonheurs finis,

    En songeant que jadis, les tailles enlacées,

    Les yeux parlant au fond des yeux, les doigts unis,

    Muets, le sein troublé de fièvres inconnues,

    Ils avaient parcouru ces mêmes avenues !

    "La dernière escapade" (extrait) Guy de Maupassant

     

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  • L’exil est assurément la plus terrible des peines dont on peut frapper certains hommes. En dehors de ce sentiment idéal qu’on appelle « l’amour de la Patrie », il existe une singulière tendresse, une tendresse instinctive et presque sensuelle, pour le pays où nous sommes nés, qui nous a nourris de son air, de ses plantes et de ses fruits, de la chair de ses bêtes, du jus de ses vignes et de l’eau de ses sources.

    Notre corps est fait de sa substance ; nos organes sont accoutumés à sa température et à ses formes ; notre peau a le ton et la résistance que donne son soleil et qu’exige son climat. Nous sommes les fils de la terre plus encore que les fils de nos mères. L’homme n’est plus le même à vingt lieues de distance, parce que chaque parcelle de pays le fait et le veut différent.

    Exiler, c’est arracher l’être de son sol, rompre les racines de ses habitudes et de sa vie, pour les porter sur une terre où il ne s’acclimatera peut-être jamais. C’est ajouter une souffrance physique, incessante et cruelle, à la souffrance morale, non moins douloureuse.

    Guy de Maupassant *

    Exil:
    Attention
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  • Nietzsche et Freud ont tous deux analysé ce rapport [...] et s’ils ne l’ont par ailleurs pas encore entièrement pavé, ils n’ont cependant pas manqué de l’ouvrir en grande partie et de laisser pour leurs suiveurs de précieuses traces. Ainsi Nietzsche affronte cette problématique dans l’une de ses œuvres cardinales : la Généalogie de la morale ; et Freud, quant à lui, s’attaque au sujet avec brio dans son livre intitulé Malaise dans la culture. Tous deux mettent en avant l’ambivalence des sentiments moraux, dont la culpabilité, en les replaçant dans leur genèse historique ; genèse qui s’opère selon ce processus inéluctable qu’est l’avènement de la civilisation. Aussi est-ce assez justement que Paul-Laurent Assoun écrit dans son livre Freud et Nietzsche : « Chez Nietzsche et chez Freud, le problème de la Kultur reflète le problème central, celui de l’instinct et de sa satisfaction »

    Pour ces deux auteurs la cruauté semble un effet d’abord naturel (les pulsions, les instincts) qui entre en conflit avec la civilisation et génère la culpabilité. [...]ce « problème de la Kultur » n’est pas posé en termes d’une rupture de la nature à la culture, suivant l’opposition classique de l’une et de l’autre. Le problème consiste justement en cela que les instincts et les pulsions naturelles se perpétuent à travers l’organisation culturelle sans plus pouvoir se décharger librement. Maintenant que la civilisation opère sur l’humanité son grand travail de dressage et de domestication, ses instincts doivent avancer masqués mais ils n’ont aucunement été anéantis. Bien au contraire, ils rampent dans l’ombre, ils se dérobent au regard, ils persistent bel et bien, et parfois même, ils signent encore.

    Parmi ces instincts, il en est un qui continue d’exercer son labeur sous des déguisements toujours plus hypocrites, se parant d’un pharisaïsme mielleux : l’instinct de cruauté. Pour Freud comme pour Nietzsche, la cruauté constitue une pulsion première pour tout être humain, et aucun d’entre nous ne peut jamais s’en défaire parfaitement. C’est un effet naturel du psychisme humain, un aiguillon qui stimule tout un chacun et qui vient se heurter aux barrières que lui impose la civilisation. Interdite par la culture sans être parfaitement défaite par celle-ci, la cruauté va se réorienter, s’intérioriser et générer la culpabilité. Nous abordons ainsi un thème cher à nos deux penseurs : les effets néfastes qu’engendre la civilisation par la répression des instincts.

    Pour ces deux penseurs, cette culpabilité a des effets néfastes et morbides : le nihilisme pour Nietzsche, la névrose pour Freud.

    Concernant la cruauté, cette répression a donc pour effet de créer un sentiment nouveau qui est la culpabilité. Du point de vue de nos deux auteurs, cette mutation de la cruauté en culpabilité n’est pas une solution, et elle ne réussit pas à sauver définitivement l’homme des tourments que son penchant pour la cruauté implique. Suivant l’un comme selon l’autre, la culpabilité a des effets néfastes qu’on ne peut négliger. Nietzsche affirmera ainsi qu’elle donne naissance à une maladie de l’humanité des plus coriaces : le nihilisme, effroyable pathologie qui pousse l’être humain au dégoût de soi. Freud, de son côté, lui fera un diagnostic tout aussi peu affriolant, puisqu’elle sera selon lui une des sources de la névrose. Ils s’accorderont tous deux sur l’idée qu’elle fait apparaître une maladie de l’âme spécifiquement humaine par l’intermédiaire de la moralité, cet outil permettant à la culture de domestiquer l’« animal homme ». Aussi est-il tentant de rapprocher la conception nietzschéenne de la moralité avec l’acception freudienne de la névrose, à tel point que l’on pourrait se demander s’ils ne désignent pas la même chose par deux termes différents[...]

     

     

    Mémoire de maîtrise de philosophie (extrait), 2006
    François Requet

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