• Ses yeux :
    Attention

     

     

    Mes yeux sont lentement remontés le long d'une silhouette diaphane, enveloppée dans un sari de soie. Ses cheveux dessinaient des arabesques blondes se mêlant aux motifs sombres du batik. On aurait dit une seconde peau, plus troublante encore.
    Quelque chose s'est délicatement ouvert en moi, comme une de ces fleurs nocturnes qui s'offrent au ballet pollinisateur des chauves-souris.
    J'ai pénétré dans la pièce obscure comme sous une voûte sacrée. Je ne savais déjà plus ce que je faisais vraiment.
    Nos regards se sont vrillés, à travers l'obscurité. Ses yeux ressemblaient à deux cristaux de gel qui luisaient dans le noir. Une petite voix, une minuscule voix, perdue dans la tempête, me criait que je refaisais la même connerie que six ans auparavant, et que ce n'était pas vraiment le moment approprié, mais un évènement plus puissant encore que mon orage cérébral l'a définitivement fait taire.
    Elle a chuchoté mon nom, dans un souffle qui attendait depuis des siècles, cette vérité me frappa de plein fouet.
    Sa main s'est enroulée autour de mon bras et je me suis retrouvé soudé à elle.
     
    Les Racines du mal de Maurice G. Dantec *
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  • C'est dans la mesure où il n'y a rien à voir que les yeux commencent à s'ouvrir : les apparitions alors se multiplient. C'est une bogue de châtaigne au parc de la Verrerie, ouverte après avoir roulé à terre, délivrant une lumière bosselée, martelée par un joaillier céleste. C'est aussi une tasse à café dépareillée dans le buffet de ma mère : d'un panier peint sur sa porcelaine blanche liserée d'or, trois violettes tombent sans bruit dans l'âme du buveur. C'est encore un horloger qui a le bonheur de ne rien vendre depuis trente ans : toutes les montres exposées dans sa vitrine sont à l'heure tandis que lui, dérangé par aucun client, fume sa pipe dans l'arrière-boutique, hors du temps.

    "Prisonnier au berceau" C.B.

     

     

     

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  • Les yeux :
    Attention

     Oui, un mystère, les yeux, les tiens.
    Ils t’ont été donnés pour voir,
    Voici qu’eux-mêmes ils donnent à voir !

    Faut-il croire qu’ils sont donnés
    Pour égaler la beauté qu’ils captent ?

    Que la lumière qu’ils reflètent
    Doit être par eux transfigurée ?

    Que tous les dons qu’ils ont reçus
    Doivent devenir don à leur tour ?

    Brûlant mystère du Regard premier !

    La vraie gloire est ici de François Cheng

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  • L'oeil :
    Attention

     

    Au commencement, les yeux ne voient pas. Ils sont ouverts, entre les rideaux des paupières, mais ils sont noirs. Ils n'ont pas de lumière. Les yeux ne servent pas. Ils ne sont pas faits pour voir. Quand on a appris cela, on n'a plus peur de l'ombre et du vide. Les yeux sont des moteurs pour aller dans l'autre sens, vers le futur, vers les pays inconnus, vers les rêves, les choses de cette nature.

    Le Clézio *

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  • Or aujourd’hui ce n’est plus de moi que je prétends m’échapper, mais des autres au travers desquels j’avais commencé par vouloir me perdre. Mes amis, mes ennemis, je leur dois la plus cruelle des hantises : leurs yeux, les miens, liquides aux densités différentes qui se superposent et jamais ne se peuvent pénétrer vraiment, se mélanger. Leurs yeux, j’ai accepté de les aimer, orgueilleux et naïf à la fois, car je voulais m’y découvrir en transparence, et puis, si longtemps je les avais désirés, avec la certitude qu’ils me vengeraient du mystère insuffisant des glaces de mon enfance. Il s’agissait de me noyer, Narcisse. Au long des murs, une rivière figée n’avait pas voulu de moi. Boulangerie, annonçaient des lettres d’or et, sur le miroir, une gerbe s’éparpillait. Le fleuve vertical des boutiques n’avait emporté ni les brins de paille ni les brins de rêve.

    Aussi, dès lors, avais-je résolu de mettre ma joie et ma peine ailleurs qu’en moi-même, mais telle fut ma folie que, sur la route morne, à chaque créature rencontrée, j’ai demandé non le divertissement, non quelque exaltation dont l’amour essayé eût pu me faire tangent, mais l’absolu.

    L’absolu ? Je me perdais. Fallait-il m’accuser d’orgueil ou dire au contraire pour ma défense que je cherchais dans les êtres la révélation d’une âme universelle ? Hélas ! à peine de temps en temps, pouvais-je à nouveau découvrir ce petit tas d’os, de papilles à jouir, d’idées confuses et de sentiments clairs qui portaient mon nom.

    Lacs de déceptions que j’avais crus miroirs, comment aimer encore les yeux étrangers ?

    Or un jour, ce que je vis en transparence, et dans mes yeux cette fois, ce fut leurs yeux, les yeux des autres. Les autres dont je ne pouvais croire qu’ils existassent et qui pourtant triomphaient de moi.

    "Mon corps et moi"  René Crevel, 1925

     

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