• Erable:
    Attention

    J'ai pris un amant. Tout de suite, à peine entrée dans le studio vide. Pas un type comme les clientes de la parfumerie en prennes.
    Au magasin, j'ai vite appris les histoires d'adultères du quartier. Je ne vends pas que des parfums, je m'occupe des femmes qui viennent se faire épiler dans une petite salle en arrière du magasin. Elle causent entre elles, j'écoute. J'ai pris un amant - mais pas comme ces femmes-là, pas un deuxième mari, un mari à mi-temps. Mon amant est à plein temps sous mes fenêtres.
    Le matin, le soir, mes pensées volent vers mon amant, mes yeux brillent de lui et mon cœur chante ses louanges: un érable. Un érable en plein quartier de la Bastille, là, dans la cour intérieure de l'immeuble. C'est pour lui que j'ai choisi le studio. Il faut dire qu'il est à son avantage lorsque je le rencontre pour la première fois. Il commence à prendre ses habits d'automne, à brûler d'un feu pourpre, comment résister à tant de séduction?

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  • Image :
    Attention

    Je n'écrit pas avec de l'encre. J'écris avec ma légèreté. Je ne sais si je me fais bien entendre: l'encre, je l'achète. Mais la légèreté, il n'y a pas de magasin pour ça. Elle vient ou ne vient pas, c'est selon. Et quand elle ne vient pas, elle est quand même là. Vous comprenez? La légèreté, elle est partout, dans l'insolente fraîcheur des pluies d'été, sur les ailes d'un livre abandonné au pied  d'un lit, dans la rumeur des clochers de monastère à l'heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d'une lumière au détour d'un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer lentement les volets sur le soir, dans la fine touche de bleu, bleu pâle, bleu-violet, sur les paupières d'un nouveau-né, dans la douceur d'ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l'instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant sur le sol et dans la maladresse d'un chien glissant sur un étang gelé, j'arrête là, la légèreté, vous voyez bien, elle est partout donnée. Et si en même temps elle est rare, d'une rareté incroyable, c'est qu'il nous manque l'art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.

    C.B. "La folle allure" *

     

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  • Quand je t’apporte des jouets bigarrés, mon enfant, je comprends pourquoi des couleurs sans nombre se jouent sur les nuages et sur l’eau et pourquoi les fleurs sont peintes de toutes nuances, quand je te donne des jouets bigarrés, mon enfant.

    Quand je chante pour te faire danser, je comprends alors pourquoi il y a de la musique dans le feuillage et pourquoi les vagues font retentir jusque dans le cœur même de la terre attentive, le concert de leurs voix, quand je chante pour te faire danser.

    Quand j’apporte à tes mains avides des choses douces, je comprends pourquoi il y a du miel dans le calice de la fleur et pourquoi les fruits s’emplissent  secrètement de nectar, quand j’apporte à tes mains avides des choses douces.

    Quand je baise ton visage pour te faire sourire, mon trésor, alors je comprends l’allégresse que le ciel verse avec la lumière du matin et les délices que la brise d’été apporte à mon corps, quand je te baise pour te faire sourire.  

    "La jeune lune" Rabîndranâth Tagore

     

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  • Fenêtre:
    Attention

    "Loi ou par la nature. Elle se moque parfaitement de cette dignité qui lui manque. Elle se contente de faire son travail. Son travail c'est salir la douleur qui lui est confiée et tout agglomérer - l'enfance et le malheur, la beauté et le rire, l'intelligence et l'argent - dans un seul bloc vitré gluant. On appelle ça une fenêtre sur le monde. Mais c'est, plus qu'une fenêtre, le monde en son bloc, le monde dans sa lumière pouilleuse de monde, les détritus du monde versé à chaque seconde sur la moquette du salon. Bien sûr on peut fouiller. On trouve parfois, surtout dans les petites heures de la nuit, des paroles neuves, des visages frais. Dans les décharges on met la main sur des trésors. Mais cela ne sert à rien de trier, les poubelles arrivent trop vite, ceux qui les manient sont trop rapides. Ils font pitié avec leur manque parfait d'intelligence et de cœur - cette maladie du temps qu'ils ont, héritée du monde des affaires: parlez -moi de Dieu et de votre mère, vous avez une minute et vingt-sept seconde pour répondre à ma question. Un ami à vous, un philosophe, passe un jour là-dedans, dans la vitrine souillée d'images. On lui demande de venir pour parler de l'amour, et parce qu'on a peur d'une parole, qui pourrait prendre son temps, peur qu'il n'arrive quelque chose, parce qu'il faut à tout prix qu'il ne se passe rien que de confus et de désespérant - c'est-à-dire moins que rien-, en raison de cette peur on invite également vingt personnes, spécialistes de ceci, experts en cela, vingt personnes soit trois minutes la personne. La vulgarité, on dit aux enfants qu'elle est dans les mots. La vraie vulgarité de ce monde est dans le temps, dans l'incapacité de dépenser le temps autrement que comme des sous, vite, vite, aller d'une catastrophe aux chiffres du tiercé, vite glisser sur des tonnes d'argent et d'intelligence profonde de la vie, de ce qu'est la vie dans sa magie souffrante, vite aller à l'heure suivante et que surtout rien n'arrive, aucune parole juste, aucun étonnement pur. Et votre ami, après l'émission, il s'inquiète un peu, quand même, pourquoi cette haine de la pensée, cette manie de tout hacher menu, et la réalisatrice lui fait cette réponse, magnifique: je suis d'accord avec vous mais il vaut mieux que je sois là, si d'autres étaient à ma place, ce serait pire."

    C.B  "L'inespérée" *

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  • "Je suis fou de pureté. Je suis fou de cette pureté qui n'a rien à voir avec une morale, qui est la vie dans son atome élémentaire, le fait simple et pauvre d'être pour chacun au bord des eaux de sa mort noire et d'y attendre seul, infiniment seul, éternellement seul. La pureté est la matière la plus répandue sur la terre. Elle est comme un chien. Chaque fois que nous ne nous reposons sur rien que sur notre coeur vide, elle revient s'asseoir à nos pieds, nous tenir compagnie. C'est une chose que tu m'as apprise, mon âme. Tu m'as appris beaucoup de choses. Tu m'as d'abord enfermé dans ton rire comme un écolier dans la classe au mois d'août, puis tu m'as rendu au monde avec pour tout devoir de l'écrire comme il est : affreusement noir en dessus, miraculeusement pur en dessous.

    J'écris depuis que tu me lis, depuis cette première lettre dont j'ignorais ce qu'elle pouvait dire, qui ne pouvait trouver son sens que dans tes yeux. Je n'ai jamais rien écrit de plus que les trois premières phrases de cette lettre : ne rien croire. Ne rien attendre. Espérer que quelque chose, un jour, arrive. Les mots sont en retard sur nos vies. Tu as toujours été en avance sur ce que j'espérais de toi. Tu as depuis toujours été l'inespérée."

    "L'inespérée" Christian Bobin *

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