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    J’ai contemplé un magnifique coucher de soleil. Parmi les nuages amoncelés, çà et là paraissait la lumière, et là… comme un charbon rouge, de forme irrégulière, le soleil, tout cela au-dessus de la forêt : je me sentis joyeux et j’ai pensé : Non, ce monde n’est pas un mirage, ce n’est pas un simple lieu d’épreuves et de passage à un monde meilleur, éternel. C’est un des mondes éternels qui est beau, joyeux, et que non seulement nous pouvons, mais devons faire plus beau et plus joyeux pour ceux qui vivent avec nous et pour tous ceux qui, après nous, vivront.

    "Pensées détachées du journal"  Léon Tolstoï *

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  • C'était un jeune homme de dix-huit ans tout au plus, petit de taille, maigre de corps, sauvage d'aspect. Ses longs cheveux noirs tombaient de son front jusqu'au-dessous de ses yeux, qu'ils voilaient quand il ne les écartait pas de la main, et, à travers le voile de ses cheveux, son regard brillait fixe et fauve, comme le regard d'un homme dont les facultés mentales ne doivent pas toujours demeurer dans un parfait équilibre.

    Ce jeune homme, ce n'était ni un poète, ni un peintre, ni un musicien: c'était un composé de tout cela; c'était la peinture, la musique et la poésie réunies; c'était un tout bizarre, fantasque, bon et mauvais, brave et timide, actif et paresseux : ce jeune homme, enfin, c'était Ernest-Théodore-Guillaume Hoffmann.

    Il était né par une rigoureuse nuit d'hiver, en 1776, tandis que le vent sifflait, tandis que la neige tombait, tandis que tout ce qui n'est pas riche souffrait: il était né à Koenigsberg, au fond de la Vieille-Prusse ; né si faible, si grêle, si pauvrement bâti, que l'exiguïté de sa personne fit croire à tout le monde qu'il était bien plus pressant de lui commander une tombe que de lui acheter un berceau; il était né la même année où Schiller, écrivant son drame des Brigands, signait Schiller, esclave de Klopstock ; né au milieu d'une de ces vieilles familles bourgeoises comme nous en avions en France du temps de la Fronde, comme il y en a encore en Allemagne, mais comme il n'y en aura bientôt plus nulle part ; né d'une mère au tempérament maladif, mais d'une résignation profonde, ce qui donnait à toute sa personne souffrante l'aspect d'une adorable mélancolie ; né d'un père à la démarche et à l'esprit sévères, car ce père était conseiller criminel et commissaire de justice près le tribunal supérieur provincial. Autour de cette mère et de ce père, il y avait des oncles juges, des oncles baillis, des oncles bourgmestres, des tantes jeunes encore, belles encore, coquettes encore; oncles et tantes, tous musiciens, tous artistes, tous pleins de sève, tous allègres. Hoffmann disait les avoir vus ; il se les rappelait exécutant autour de lui, enfant de six, de huit, de dix ans, des concerts étranges où chacun jouait d'un de ces vieux instruments dont on ne sait même plus les noms aujourd'hui: tympanons, rebecs, cithares, cistres, violes d'amour, violes de gambe. Il est vrai que personne autre qu'Hoffmann n'avait jamais vu ces oncles musiciens, ces tantes musiciennes, et qu'oncles et tantes s'étaient retirés les uns après les autres comme des spectres, après avoir éteint, en se retirant, la lumière qui brûlait sur leurs pupitres.

    A.Dumas

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  • La femme:
    Attention

    Voilà la femme qu'il me faut, celle qui n'est pas pour moi. La douceur de ce visage. La patience de cette voix. Elle vous laisse approcher. On ne la dérange pas. On ne la comble pas non plus. On lui parle de soi, c'est un sujet que l'on connaît si mal. On lui donne ses tourments, ses projets, ses plaisirs. Elle écoute en souriant. Quand on s'avance un peu, il n'y a plus personne. Lorsqu'elle vous invite chez elle, votre regard partout se cogne: la blancheur de ces murs, de cette robe, de cette vie. A-t-on idée d'une pareille solitude dans le milieu du centre ville. On ne sait trop quoi penser d'elle. On ne peut en dire que du bien, c'est-à-dire rien de sûr. On peut aussi penser qu'elle est absente. C'est une chose que l'on peut très souvent penser des gens. C'est une chose qui n'explique rien.

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  • Oui, mon ange voyait juste: je suis devenue une grande fille, j'ai beaucoup grandi...Avant, ce ne devait pas être possible. Avant, il y avait toujours quelqu'un, les parents, un époux, des amis. On ne peut grandir qu'en échappant à cet amour qu'ils nous portent et qui leur suffit, croient-ils, à nous connaître. On ne peut grandir qu'en faisant des choses dont on ne leur rendra pas compte, et d'ailleurs si on leur en rendait compte, ils ne les comprendraient pas, parce qu'elles seront faites avec cette part de nous demeurée invisible, insaisissable, non couverte par le manteau d'amour qu'ils jetaient sur nos épaules. Cette part-là est part de l'ange - ou du loup. Je ne suis pas sûre de croire aux anges. Les loups existent. Ils existent même deux fois, une fois dans les forêts, une deuxième fois dans les légendes qui sont comme des forêts de mots. Les anges, je ne sais pas. J'en ai aperçu dans les livres de peinture. On dirait des petits garçons en chemise de nuit. Je sais qu'il y en a aussi dans les histoires de la Bible. A supposer qu'ils existent vraiment, la peinture et la Bible ne doivent être pour eux que des résidences secondaires.

    "La folle allure" Christian Bobin *

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  • Sicile, XVIIIe siècle. La jeune Marianna Ucrìa, devenue sourde et muette à l'âge de cinq ans, brisée par un douloureux secret, vit murée dans son silence. Pour communiquer avec le monde, à défaut de parler et d'entendre, Marianna choisit la lecture et la connaissance. Elle se réfugie dans la bibliothèque où, influencée par les idées des Lumières, elle découvre la vie. C'est dans ce savoir qu'elle trouvera le courage d'affronter la vérité sur son infirmité. Après des années de silence et de solitude, sur cette île où tout est extrême, la splendeur et la misère, la tendresse et la violence, Marianna Ucria se révélera et apprendra à conquérir sa liberté.

    LA VIE SILENCIEUSE DE MARIANNA UCRIA

     

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