• Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
    Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
    Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
    Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
    Quand la terre est changée en un cachot humide,
    Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
    S'en va battant les murs de son aile timide
    Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
    Quand la pluie étalant ses immenses traînées
    D'une vaste prison imite les barreaux,
    Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
    Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
    Des cloches tout à coup sautent avec furie
    Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
    Ainsi que des esprits errants et sans patrie
    Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
    -Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
    Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
    Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
    Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

    "Les fleurs du Mal" Charles Baudelaire *

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    "Je ne sais pas ce qui me touche autant dans la vision d'une jeune mariée. Celle-ci était très jeune, une gamine, sa robe maltraitée par la pluie avait des allures de serpillière et sa couronne de fleurs d'oranger était déchirée. Son mari, guère plus vieux qu'elle, ne savait que faire. Il prenait son visage de petite fille entre ses deux grosses mains et le caressait doucement, essayait de le réchauffer comme on peut faire avec une bête familière. Il ne me quittait pas des yeux. J'étais visiblement à son goût, et cela ne le troublait pas de consoler l'une tout en lorgnant vers l'autre. La noce s'est levée dans un remuement de chaises, ils ont voulu payer le vin chaud, le patron s'est fâché, un jour comme ça, vous pensez, les époux sont sortis les premiers, le mari m'a jeté un dernier coup d’œil. Il y avait quelque chose de pénible dans ce regard, un sale mélange de désir et de mélancolie: je voudrais bien te baiser mais, tu comprends, je suis coincé avec celle-là. Ce n'est pas la première fois que je remarquais une telle chose sur le visage d'un homme...
    Il faudrait que je fasse attention. Il faudrait que je me méfie de cette pensée qui m'envahit parfois. C'est une pensée désolée, désolante. C'est la pensée que tous nos liens sont faux et, pire encore: comiques. Oui, il me semble parfois que tous nos sentiments, même les plus profonds, ont une part indélébile de comédie. Leur profondeur ne doit souvent rien à l'amour - et tout à l'amour-propre. C'est sur nous-même que nous pleurons et c'est nous seuls que nous aimons. Cette pensée en soi n'est pas si sotte. Elle le deviendrait si elle amenait de la tristesse dans son sillage.
    Je ne sais pas ce que c'est, la vérité. La tristesse, oui, je connais: c'est du mensonge et rien d'autre. Je tiens ça de ma mère."

    Christian Bobin *

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    La nuit du Vendredi Saint, Satan donne un bal de minuit. Il fait une offre à Marguerite : devenir une sorcière douée de pouvoirs surnaturels le temps du bal, et servir à Satan de "Maîtresse de maison " pour recevoir ses invités. Marguerite pénètre nue dans le monde de la nuit, survole les forêts noires et les fleuves de la Mère Russie, se baigne, et purifiée, revient à Moscou pour être l'hôte du grand bal de Satan. Debout au côté de ce dernier, elle accueille les personnages les plus tristement fameux de l'histoire de l'humanité alors qu'ils se déversent en nombre des portes de l'enfer.

    Elle surmonte l'épreuve et Satan lui offre d'exaucer son vœu le plus cher : retrouver son amant le Maître et de vivre avec lui dans la misère et l'amour.  

    Pas facile de résumer un tel monument. L’irruption du Diable, un soir de pleine lune à Moscou, met la ville sens dessus dessous ou Marguerite fait un pacte avec le Diable pour sauver son amant, le Maître. Univers mi-fantasque, mi-burlesque prétexte à dénoncer les dysfonctionnements de la société russe. L’auteur dénonce en vrac la culture officielle, la censure, le discours politique stéréotypé, le rejet de la culture classique et de ces grands maîtres, la crise du logement à Moscou et le cauchemar des appartements communautaires, les arrestations arbitraires…

    Le Diable version Boulgakov est amusant, car plus facétieux que méchant. Des scènes hilarantes, mais  il y a surtout une accumulation de petites diableries : apparitions et disparitions mystérieuses, roubles changés en dollars, voisin libidineux changé en pourceau etc… La plupart de ces facéties sont dues aux acolytes du Diable, dont un gros chat noir, nommé Béhémoth.

    Sous le roman burlesque se cache un roman philosophique, dont la vraie question est :

    Comment le bien pourrait-il exister, si le mal n’existait pas, pourquoi craindre le diable si on ne croit pas en Dieu ?

     

     

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