• Ce mot de liberté, on affecte de le prononcer et on le prononce neuf fois sur dix d’un air provocant, avec un accent de révolte. Si tu n’es pas libre, crois-tu que ce soit le plus sûr moyen de le devenir ? Et si tu es libre, je ne vois pas qu’il y ait là de quoi tant crier et te vanter.

    La vérité est que tu n’es jamais libre, mais l’esclave d’un simulacre de liberté. Cette liberté, dès que tu t’imagines la tenir, ton premier soin ne sera-t-il pas de lui imposer des défenseurs, avec ordre de la défendre ? Non seulement il sera défendu de l’attaquer, mais défense même de n’en point user à son gré : tu n’es pas libre de ne pas être libre sous le règne de la liberté ; l’expression suffisamment te l’indique : la liberté règne

    À force de répéter que la liberté est le plus grand des biens, on finit par le croire, sans se rendre compte que c’est encore une  habitude qu’on a prise. Et quand on dit que l’on prend une habitude, c’est l’habitude qui vous prend.

    Comment pouvons-nous parler de liberté, nous qui vivons prisonniers, esclaves de l’habitude, et de toutes les habitudes, les plus absurdes, les plus saugrenues ? Commençons donc par secouer le joug de l’habitude, avant d’exalter la liberté !…

    Ces apôtres de la liberté, qui remplissent le Café du Commerce, demande-leur de renoncer à l’habitude de se réunir au café, à telle heure dite, demande-leur de renoncer à l’habitude d’y boire tel nombre de bocks, d’y fumer tel nombre de pipes, en s’affirmant des citoyens libres !…

    Habitudes d’esprit, habitudes de langage, l’habitude s’immisce dans toutes nos façons de penser, de parler, nous ne faisons plus rien sans elle, elle est la plus forte, — et quand nous croyions l’avoir perdue, nous en être débarrassés, comme elle est habile à réapparaître, comme elle excelle à nous ressaisir !

    D’être restés pendant plus de quatre ans, que dura la Grande Guerre, à nous coiffer de calots, de bérets, de képis, de casques, mais plus de chapeaux hauts de forme, nous pensions bien qu’après la victoire, l’habitude serait perdue à jamais de cette coiffure ridicule et incommode…  Hélas ! nous n’aurons pas été longtemps avant de constater que ce but de guerre semblait décidément irréalisable.

    Nous avons assisté au lamentable abandon de bien d’autres buts de guerre plus graves, et sans doute n’avions-nous pas fait la guerre pour tuer l’habitude du chapeau haut de forme.

    Pour secouer la tyrannie de l’habitude qui rend toute liberté dérisoire et impossible, il n’est pas besoin d’un général vainqueur, et le Bon Sens y suffirait, si nous nous laissions éclairer, convaincre et conduire par lui.

    En attendant, libre aux Américains d’imaginer que la Liberté éclaire le monde ; qui peut éclairer le monde, ce n’est pas la Liberté, mais, seul, le Bon Sens.

    Franc-Nohain "Le bon sens et la liberté"

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  • "La vie de couple est sans fond, immense. Elle peut être dévastée par un côté, et se poursuivre tranquillement par un autre côté. La vie de couple est un gros animal résistant, lent à mourir"

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  • Un film de Georges Franju (1960)

    L'histoire : Victime d’un terrible accident de la route Christiane (Edith Scob), la fille du célèbre professeur Génessier (Pierre Brasseur), vit recluse dans le domaine familial. Un masque cache son visage atrocement défiguré. Afin de redonner un visage à sa fille le professeur, et sa fidèle assistante (Alida Valli), n’hésitent pas à enlever des jeunes femmes et à se livrer à des greffes improbables.

    Il est question d’hétérogreffe dans cette histoire passionnelle. Hétérogreffe, voilà qui qualifie plutôt bien le style du maître. L’insolite et le trivial, le réel et l’irréel coexistent bel et bien. Il nous appartient d’exercer notre regard, d’éduquer notre œil pour déjouer les pièges du visible. Si Franju porte une attention toute particulière au quotidien, c’est en partie pour en révéler la monstruosité. Avec la précision d’un géologue, ou d’un chirurgien plasticien, il traque les failles, les tumeurs, qui menacent la surface des choses. Dans Les Yeux sans visage, un train qui déchire le brouillard dans la profondeur de champ, un avion qui survole paisiblement un cimetière, effrayent autant qu’une meute de chiens féroces, ou qu’une escapade nocturne dans un cimetière. La mise en scène rigoriste de Franju devient autant un gage d’honnêteté - contrairement à une idée assez répandue, Franju n’a rien d’un manipulateur - qu’une raison de s’agripper nerveusement à son fauteuil, car tout peut surgir à tout moment.

    La richesse du film provient essentiellement de la démarche suggestive de l’auteur. Georges Franju nous invite à regarder dans l’oeuvre, non pas ce qu’il voudrait précisément nous montrer, mais ce que nous pourrions précisément y voir - au détour d’un plan fugace, ou d’un mouvement discret.

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  • L'art abstrait a fait éclater la peinture: quand en musique on fait éclater les formes il ne reste que les percussions, au désavantage de l'harmonie.

    Serge Gainsbourg (2006) *

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