• Mais l’homme et la femme marchant ainsi du même pas et du même coeur, unis et fortifiés par l’amour, vers leurs destinées naturelles, la communauté-anarchique ; mais tous les despotismes anéantis, toutes les inégalités sociales nivelées ; mais l’homme et la femme entrant ainsi –le bras appuyé sur le bras et le front l’un vers l’autre penché, dans ce jardin social de l’Harmonie ; mais ce groupe de l’être-humain, rêve réalisé du bonheur, tableau animé de l’avenir ; mais tous ces bruissements et tous ces rayonnements égalitaires sonnent mal à vos oreilles et vous font cligner des yeux. Votre entendement bourrelé de petites vanités vous fait voir dans la postérité l’homme-statue, érigé sur le piédestal-femme comme dans l’antérité l’homme-patriarche, debout auprès de la femme-servante.

    Ecrivain fouetteur de femmes, serf de l’homme absolu, Proudhon-Haynau qui avez pour knout la parole, comme le bourreau croate, vous semblez jouir de toutes les lubricités de la convoitise à déshabiller vos belles victimes sur le papier du supplice et à les flageller de vos invectives. Anarchiste juste-milieu, libéral et non LIBERTAIRE, vous voulez le libre échange pour le coton et la chandelle, et vous préconisez des systèmes protecteurs de l’homme contre la femme, dans la circulation des passions humaines ; vous criez contre les hauts barons du capital, et vous voulez réédifier la haute baronie du mâle sur la vassale femelle ; logicien à bésicles, vous voyez l’homme par la lunette qui grossit les objets, et la femme par le verre qui les diminue ; penseur affligé de myopie, vous ne savez distinguer que ce qui vous éborgne dans le présent ou dans le passé, et vous ne pouvez rien découvrir de ce qui est à hauteur et à distance, ce qui perspective de l’avenir : vous êtes un infirme !

    La femme, sachez-le, est le mobile de l’homme comme l’homme est le mobile de la femme. Il n’est pas une idée dans votre difforme cervelle comme dans la cervelle des autres hommes qui n’ait été fécondée par la femme ; pas une action de votre bras ou de votre intelligence qui n’ait eu en vue de vous faire remarquer de la femme, de lui plaire, même ce qui en paraît le plus éloigné, même vos insultes. Tout ce que l’homme a fait de beau, tout ce que l’homme a produit de grand, tout les chefs-d’oeuvre de l’art et de l’industrie, les découvertes de la science, les titanesques escalades de l’homme vers l’inconnu, toutes les conquêtes comme toutes les aspirations du génie mâle sont dues à la femme qui les lui a imposées, à lui, chevalier, comme reine du tournoi, en échange d’un bout de faveur ou d’un doux sourire. Tout l’héroïsme du mâle, toute sa valeur physique et morale lui vient de cet amour. Sans la femme, il ramperait encore à plat ventre ou à quatre pattes, il brouterait encore l’herbe ou les racines ; il serait pareil en intelligence au boeuf, à la brute; il n’est quelque chose de supérieur que parce que la femme lui a dit : soit ! c’est sa volonté à elle qui l’a créé, lui, ce qu’il est aujourd’hui, et c’est pour satisfaire aux sublimes exigences de l’âme féminine qu’il a tenté d’accomplir les plus sublimes choses !

    Voilà ce que la femme a fait de l’homme ; voyons maintenant ce que l’homme a fait de la femme.

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  • Tenez, père Proudhon, voulez-vous que je vous le dise : quand vous parlez de femmes, vous me faites l’effet d’un collégien qui en cause bien haut et bien fort, à tort et à travers, et avec impertinence pour se donner des airs de les connaître, et qui, comme ses adolescents auditeurs, n’en sait pas le plus petit mot

    Après avoir pendant quarante ans profané votre chair dans la solitude, vous en êtes arrivé, de pollution en pollution, à profaner publiquement votre intelligence, à en élucubrer les impuretés, et à en éclabousser la femme.

    Est-ce donc là, Narcisse-Proudhon, ce que vous appelez la civilité virile et honnête ?

    Je cite vos paroles :

    “ Non, Madame, vous ne connaissez rien à votre sexe ; vous ne savez pas le premier mot de la question que vous et vos honorables ligueuses agitez avec tant de bruit et si peu de succès. Et si vous ne la comprenez point, cette question ; si, dans les huit pages de réponses que vous avez faites à ma lettre, il y a quarante paralogismes, cela tient précisément, comme je vous l’ai dit, à votre infirmité sexuelle. J’entends par ce mot, dont l’exactitude n’est peut-être pas irréprochable, la qualité de votre entendement, qui ne vous permet de saisir le rapport des choses qu’autant que nous hommes vous le faisons toucher du doigt. Il y a chez vous, au cerveau comme dans le ventre, certain organe incapable par lui-même de vaincre son inertie native, et que l’esprit mâle est seul capable de faire fonctionner, ce à quoi il ne réussit même pas toujours. Tel est, madame, le résultat de mes observations directes et positives : je le livre à votre sagacité obstétricale et vous laisse à en calculer, pour votre thèse, les conséquences incalculables. ”

    Mais – vieux sanglier qui n’êtes qu’un porc –, s’il est vrai, comme vous le dites, que la femme ne peut enfanter du cerveaux comme du ventre sans le secours de l’homme – et cela est vrai –, il est également vrai – la chose est réciproque – que l’homme ne peut produire par la chair comme par l’intelligence sans le secours de la femme. C’est de la logique et de la bonne logique, maître-Madelon-Proudhon, qu’un élève, qui a toujours été, lui aussi, un sujet désobéissant, peut bien vous arracher des mains et vous jeter à la figure.

    L’émancipation ou la non-émancipation de la femme, l’émancipation ou la non-émancipation de l’homme : qu’est-ce à dire ? Est-ce que – naturellement – il peut y avoir des droits pour l’un qui ne soient pas des droits pour l’autre ? Est-ce que l’être-humain n’est pas l’être-humain au pluriel comme au singulier, au féminin comme au masculin ? Est-ce que c’est en changer la nature que d’en scinder les sexes ? Et les gouttes de pluie qui tombent du nuage en sont-elles moins des gouttes de pluie, que ces gouttes traversent l’air en petit nombre ou en grand nombre, que leur forme ait telle dimension ou telle autre, telle configuration mâle ou telle configuration femelle ?

    Mettre la question de l’émancipation de la femme en ligne avec la question de l’émancipation du prolétaire, cet homme-femme, ou, pour dire la même chose différemment, cet homme-esclave – chair à sérail ou chair à atelier –, cela se comprend, et c’est révolutionnaire ; mais la mettre en regard et au bas du privilège-homme, oh! alors, au point de vue du progrès social, c’est dépourvu de sens, c’est réactionnaire. Pour éviter tout équivoque, c’est l’émancipation de l’être-humain qu’il faudrait dire. Dans ces termes, la question est complète ; la poser ainsi c’est la résoudre : l’être-humain, dans ses rotations de chaque jour, gravite de révolution en révolution vers son idéal de perfectibilité, la Liberté.

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  • →Qu’est-ce que l’homme ? rien. – Qu’est-ce que la femme ? rien. – Qu’est-ce que l’être-humain ? – TOUT.

    Du fond de la Louisiane où m’a déporté le flux et le reflux de l’exil, j’ai pu lire dans un journal des Etats-Unis, la Revue de l’Ouest, un fragment de correspondance entre vous, P.J. Proudhon, et une dame d’Héricourt.

    Les quelques mots de Madame d’Héricourt cités par ce journal me font craindre que l’antagoniste féminin ne soit pas de force – polémiquement parlant – à lutter avec son brutal et masculin adversaire.

    Je ne connais rien de Madame d’Héricourt, ni de ses écrits, si elle écrit, ni de sa position dans le monde, ni de sa personne. Mais pour bien argumenter de la femme, comme pour bien argumenter de l’homme, l’esprit ne suffit pas : il faut avoir beaucoup vu et beaucoup médité. Il faudrait, je le crois, avoir senti ses passions personnelles se heurter à tous les angles de la société; depuis les cavernes de la misère jusqu’aux pics de la fortune; depuis les cimes argentées d’où s’ébranle en masse compacte l’avalanche du vice heureux, jusqu’au fond des ravins où roule la débauche souffreteuse. Alors, de ce caillou humain, ainsi frotté de choc en choc, la logique, cette étincelle de vérité, pourrait jaillir.

    J’aimerais à voir traiter cette question de l’émancipation de la femme, par une femme ayant beaucoup aimé, et diversement aimé, et qui, par sa vie passée, tînt de l’aristocratie et du prolétariat, du prolétariat surtout; car la femme de la mansarde est plus à même de pénétrer par la vue et par la pensée au sein de la vie luxueuse officielle, ou secrète, de la grande dame, que la femme de salon n’est capable d’entrevoir la vie de privation, apparente ou cachée, de la fille du peuple.

    Cependant, à défaut de cette autre madeleine répandant les fécondes rosées de son coeur aux pieds de l’Humanité crucifiée et battant de l’âme vers un monde meilleur ; à défaut de cette voix de civilisée repentie, croyante de l’Harmonie, fille anarchique; à défaut de cette femme abjurant hautement et publiquement tous les préjugés de sexe et de race, de lois et de moeurs qui nous rattachent encore au monde antérieur; eh bien! moi, être humain du sexe mâle, je vais essayer de traiter envers et contre vous, aliboron-Proudhon, cette question de l’émancipation de la femme qui n’est autre que la question d’émancipation de l’être humain des deux sexes.

    Est-il vraiment possible, célèbre publiciste, que sous votre peau de lion se trouve tant d’ânerie ?

    Vous qui avez dans les veines de si puissantes pulsations révolutionnaires pour tout ce qui dans nos sociétés touche au travail du bras et de l’estomac, vous avez des emportements non moins fougueux, mais d’une stupidité toute réactionnaire, pour tout ce qui est travail du cœur, labeur du sentiment. Votre nerveuse et peu flexible logique dans les questions de production et de consommation industrielles, n’est plus qu’un frêle roseau sans force dans les questions de production et de consommation morales. Votre intelligence, virile, entière pour tout ce qui a trait à l’homme, est comme châtrée dès qu’il s’agit de la femme. Cerveau hermaphrodite, votre pensée a la monstruosité du double sexe sous le même crâne, le sexe-lumière et le sexe-obscurité, et se roule et se tord en vain sur elle-même sans pouvoir parvenir à enfanter la vérité sociale.

    Autre Jeanne d’Arc du genre masculin, qui, dit-on, avez pendant quarante ans gardé intacte votre virginité, les macérations de l’amour ont ulcéré votre coeur ; de jalouses rancunes en dégouttent; vous criez : “ guerre aux femmes ! ” comme la Pucelle d’Orléans criait : “ guerre aux Anglais! ” – Les Anglais l’ont brûlée vive... Les femmes ont fait de vous un mari, ô saint homme, longtemps vierge et toujours martyr !

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  • Je ne crois point, au sens philosophique du terme, la liberté de l’homme. Chacun agit non seulement sous une contrainte extérieure, mais aussi d’après une nécessité intérieure.
    Le mot de Schopenhauer : Sans doute un homme peut faire ce qu’il veut, mais ne pas vouloir ce qu’il veut m’a vivement pénétré depuis ma jeunesse ; dans les spectacles et les épreuves de la dureté de l’existence, il a toujours été pour moi une consolation et une source inépuisable de tolérance.

    Comment je vois le monde de Albert Einstein

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  • Ce mot de liberté, on affecte de le prononcer et on le prononce neuf fois sur dix d’un air provocant, avec un accent de révolte. Si tu n’es pas libre, crois-tu que ce soit le plus sûr moyen de le devenir ? Et si tu es libre, je ne vois pas qu’il y ait là de quoi tant crier et te vanter.

    La vérité est que tu n’es jamais libre, mais l’esclave d’un simulacre de liberté. Cette liberté, dès que tu t’imagines la tenir, ton premier soin ne sera-t-il pas de lui imposer des défenseurs, avec ordre de la défendre ? Non seulement il sera défendu de l’attaquer, mais défense même de n’en point user à son gré : tu n’es pas libre de ne pas être libre sous le règne de la liberté ; l’expression suffisamment te l’indique : la liberté règne

    À force de répéter que la liberté est le plus grand des biens, on finit par le croire, sans se rendre compte que c’est encore une  habitude qu’on a prise. Et quand on dit que l’on prend une habitude, c’est l’habitude qui vous prend.

    Comment pouvons-nous parler de liberté, nous qui vivons prisonniers, esclaves de l’habitude, et de toutes les habitudes, les plus absurdes, les plus saugrenues ? Commençons donc par secouer le joug de l’habitude, avant d’exalter la liberté !…

    Ces apôtres de la liberté, qui remplissent le Café du Commerce, demande-leur de renoncer à l’habitude de se réunir au café, à telle heure dite, demande-leur de renoncer à l’habitude d’y boire tel nombre de bocks, d’y fumer tel nombre de pipes, en s’affirmant des citoyens libres !…

    Habitudes d’esprit, habitudes de langage, l’habitude s’immisce dans toutes nos façons de penser, de parler, nous ne faisons plus rien sans elle, elle est la plus forte, — et quand nous croyions l’avoir perdue, nous en être débarrassés, comme elle est habile à réapparaître, comme elle excelle à nous ressaisir !

    D’être restés pendant plus de quatre ans, que dura la Grande Guerre, à nous coiffer de calots, de bérets, de képis, de casques, mais plus de chapeaux hauts de forme, nous pensions bien qu’après la victoire, l’habitude serait perdue à jamais de cette coiffure ridicule et incommode…  Hélas ! nous n’aurons pas été longtemps avant de constater que ce but de guerre semblait décidément irréalisable.

    Nous avons assisté au lamentable abandon de bien d’autres buts de guerre plus graves, et sans doute n’avions-nous pas fait la guerre pour tuer l’habitude du chapeau haut de forme.

    Pour secouer la tyrannie de l’habitude qui rend toute liberté dérisoire et impossible, il n’est pas besoin d’un général vainqueur, et le Bon Sens y suffirait, si nous nous laissions éclairer, convaincre et conduire par lui.

    En attendant, libre aux Américains d’imaginer que la Liberté éclaire le monde ; qui peut éclairer le monde, ce n’est pas la Liberté, mais, seul, le Bon Sens.

    Franc-Nohain "Le bon sens et la liberté"

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