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  • Cette nouvelle mystique de la "Vie" a pu donner naissance à de belles œuvres littéraires. Mais je la retrouve, étrangement identique, aux origines profondes d'un mouvement que nous n'avons plus à étudier ni à convaincre : il nous menace à bout portant.
    Perdre sa personnalité morale et se retremper dans le flux cosmique de l'instinct, c'est l'idéal de nos poètes du primitivisme solaire, mais la pratique de cette croyance n'est pas de nature à nous tromper un seul instant : il n'y a pas de "belles" brutes, il y a des brutes. L'idée de beauté qu'un Lawrence croit encore consistante, c'est l'héritage d'une époque en faillite - une dette que plus personne, là-bas, n'est disposé à reconnaître. On n'a plus de comptes à rendre à cet "esprit" platonicien. Il était cause de toute la confusion, et il l'a payé de sa vie, voilà qui est clair.
    Mais j'ajouterai ceci, qui est non moins clair : quand sous prétexte de détruire l'artificiel - rhétorique idéalisante, éthique et mystique du "parfait" - l'on prétend s'enfoncer dans le flot primitif de l'instinct, dans le larvaire, dans le non-fait, dans l' "infait", c'est-à-dire dans l'infect, l'on croit retrouver l'authentique de la vie, et l'on ne fait pourtant que s'abandonner au torrent des déchets de l'ancienne culture et de ses mythes désagrégés.
    C'est qu'il n'y a plus, dans l'homme d'aujourd'hui, d'authenticité primitive. Ce que l'on appelle hérédité, dans le jargon de notre siècle, ce que l'2glise appelle péché originel, cela désigne la perte irrémédiable  du contact immédiat avec nos origines. Et dès lors, redescendre au-dessous de nos morales, ce n'est pas nous libérer de leurs interdictions, descendre au-dessous de l'expression créée et réglée par l'esprit (même si l'esprit, comme je le crois, nous engageait dans les voies irréelles), ce n'est pas revenir au réel, mais s'égarer dans la zone de terreur et dans les terrains vagues où se sont déversés tous les rebuts d'une civilisation intoxiquée.
    L' "authentique" dont le désir nous obsède, nous ne pourrons pas le retrouver. Il n'est pas au terme d'un mouvement d'abandon à l'instinct énervé et au ressentiment de la chair. Il n'est pas caché mais perdui. >Il ne peut qu'être recréé par un effort contraire à pa passion, c'est-à-dire par une action, une mise en ordre, une purification - un retour à la sobriété.
    Agir, ce n'est pas s'évader hors d'un monde déclaré diabolique. Ce n'est pas tuer ce corps gênant. Mais ce n'est pas non plus tirer son revolver contre l'esprit sous prétexte qu'il nous a trompés (1).
    Agir, en vérité, c'est accepter les conditions qui nous sont faites, dans le conflit de l'esprit et de la chair ; et c'est tenter de les surmonter non plus en détruisant mais en mariant les deux puissances antagonistes. Que l'esprit vienne au secours de la chair et retrouve en elle son appui, et que la chair se soumette à l'esprit et retrouve par lui sa paix. Telle est la voie.
    Éros mortel, Éros vital - l'un appelle l'autre, et chacun d'eux n'a pour fin véritable et pour terminaison réelle qu' l'autre, qu'il voulait détruire. A l'infini, jusqu'à la consomption de toute vie et de tout esprit. Voilà ce que peut faire l'homme qui se prend pour son dieu. Voilà le mouvement dernier de la passion, dont l'exaspération s'appelle la guerre.

    D. de Rougemont "L'amour et l'occident"

    (1) On connaît la phrase d'un officier hitlérien : "Chaque fois que j'entends prononcer le "Geist" (esprit), j'arme mon révolver."

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  • Comme à la rose de Guillaume de Lorris répond la rose de Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline de Pétrarque s'oppose la fantasmagorie sensuelle de Boccace, le romantisme a provoqué de nos jours une révolte qui se veut "primitive". Ce n'est plus le sentiment que l'on idéalise, c'est l'instinct.
    Je songe à une certaine école de romanciers anglo-américains, qui fleurit dans l'entre-deux-guerres, un Lawrence, un Caldwell, un Miller et leurs imitateurs. Voici ce que nous disaient ces hommes : "Nous en avons assez de souffrir pour des idées, des idéaux, des petites hypocrisies idéalisées et perverses auxquelles personne ne sait plus croire. Vous avez fait de la femme une espèce de divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos femmes fatales, et vos femmes adultères, et vos femmes desséchées de vertu, nous ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos "divinités". La femme est d'abord une femelle. Nous la ferons se traîner sur le ventre vers le mêle dominateur(1). Au lieu de chanter la courtoisie, nous chanterons les ruses du désir animal, l'emprise totale du sexe sur l'esprit. Et la grande innocence bestiale nous guérira de votre goût du péché, cette maladie de l'instinct génésique. Ce que vous appelez morale, c'est ce qui nous rend méchants, tristes et honteux. Ce que vous appelez l'ordure, voilà ce qui peut nous purifier. Vos tabous sont des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la vie, c'est l'instinct libéré de l'esprit, la grande puissance solaire qui broie et magnifie l'individu fécond, la belle brute déchaînée, etc. L'un de ces prophètes est allé jusqu'à dire : "Je voudrais avoir autant de vitalité qu'une vache."

    D. de Rougemont "L'amour et l'occident"

    (1) Scène d'un roman de Caldwell intitulé La Roue au tabac.

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