• L'instinct glorifié (1)

    Comme à la rose de Guillaume de Lorris répond la rose de Jean de Meung, comme à la rhétorique cristalline de Pétrarque s'oppose la fantasmagorie sensuelle de Boccace, le romantisme a provoqué de nos jours une révolte qui se veut "primitive". Ce n'est plus le sentiment que l'on idéalise, c'est l'instinct.
    Je songe à une certaine école de romanciers anglo-américains, qui fleurit dans l'entre-deux-guerres, un Lawrence, un Caldwell, un Miller et leurs imitateurs. Voici ce que nous disaient ces hommes : "Nous en avons assez de souffrir pour des idées, des idéaux, des petites hypocrisies idéalisées et perverses auxquelles personne ne sait plus croire. Vous avez fait de la femme une espèce de divinité coquette, cruelle et vampirique. Vos femmes fatales, et vos femmes adultères, et vos femmes desséchées de vertu, nous ont gâté la joie de vivre. Nous nous vengerons de vos "divinités". La femme est d'abord une femelle. Nous la ferons se traîner sur le ventre vers le mêle dominateur(1). Au lieu de chanter la courtoisie, nous chanterons les ruses du désir animal, l'emprise totale du sexe sur l'esprit. Et la grande innocence bestiale nous guérira de votre goût du péché, cette maladie de l'instinct génésique. Ce que vous appelez morale, c'est ce qui nous rend méchants, tristes et honteux. Ce que vous appelez l'ordure, voilà ce qui peut nous purifier. Vos tabous sont des sacrilèges contre la vraie divinité, qui est la Vie. Et la vie, c'est l'instinct libéré de l'esprit, la grande puissance solaire qui broie et magnifie l'individu fécond, la belle brute déchaînée, etc. L'un de ces prophètes est allé jusqu'à dire : "Je voudrais avoir autant de vitalité qu'une vache."

    D. de Rougemont "L'amour et l'occident"

    (1) Scène d'un roman de Caldwell intitulé La Roue au tabac.

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  • Commentaires

    2
    Vendredi 28 Novembre 2014 à 23:54

    L'histoire reconnait le pouvoir féminin puissant,  sa capacité de jouissance multiple, mais surtout dans sa capacité à fabriquer de l'humain ...
    La décadence est en "marche" depuis pas mal de temps, même si elle reste "invisible" aux yeux de certains ...

    1
    eultreia
    Jeudi 27 Novembre 2014 à 18:07

    Mais tout n'est pas faux, et peut-être que tout est vrai !

    Et puis" la femme castratrice" n'est pas une notion récente. Mais ce n'est peut-être pas l'amour des femmes qui rend triste et qui moralise, mais l'amour tout court.

    Et puis, vivre "à l'instinct" est le début de la décadence, à n'en pas douter et la "grande puissance solaire"  nous détruira tous par le feu... purificateur.

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