• Solitude



    Pendant que je suis là sur mon lit, seul et nu,
    Tendant les mains à l’inconnu;
    Cherchant dans l’ombre épaisse une forme vivante
    Pour l’étreindre de mes deux bras;
    Inventant tout ce que la solitude invente
    Pour se dédoubler dans les draps;

    Pendant que le sang bout dans tes nobles artères.

    Sceptre rutilant de mes pères;
    Pendant que je te tiens, raidi, gonflé, tendu,
    Sous l’édredon que tu soulèves;
    Pendant que je m’épuise à noyer ma vertu
    Dans l’humidité de mes rêves.
    Pendant que je tords sur mon axe viril

    Comme Saint Laurent sur son gril:
    – O femme! Qui dira la foule involontaire
    Des pucelles qu’on fait moisir?
    Qui dira les doigts blancs dont l’effort solitaire
    Gratte l’écorce du plaisir?A vous!
    Je songe à vous, chastes filles du monde

    Que nul ne titille ou ne sonde;
    Clitoris sans amour des vierges par devoir,
    Muqueuses en rut, coeur en peine,
    C’est pour vous que j’agite et que je fais pleuvoir
    Ce qui vous manque et qui me gêne.

    Car j’ai votre idéal, si vous avez le mien!

    Venez, Prenez: C’est votre bien.
    Vous pour moi, moi pour vous; qu’on aime et qu’on se serre
    Libre échange! Secours mutuel!
    Ah venez! Unissons notre double misère:
    Nos deux enfers feront un ciel.

    Au festin de l’amour nous ferons table rase.

    J’ai la liqueur et vous le vase…
    Vous tendez votre coupe à mes deux chansons.
    Moi généreux et vous avide:
    Fête ongue et vins chauds!

    A nos santés, versons
    Mon trop plein dans votre trop vide!

     

    Edmond Haraucourt -  La Légende des sexes 1883

    « Transcendence REMOVED »
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