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    La communauté en soi, dit Demian, est belle. Mais ce n'est pas la communauté véritable. Elle naîtra du rapprochement de certains individus et elle transformera le monde pour quelque temps. Ce qu'on appelle communauté n'est que formation grégaire. Les hommes se réfugient les uns auprès des autres parce qu'ils ont peur les uns des autres. Chacun pour soi ! les patrons pour eux, les ouvriers pour eux, les savants pour eux ! Et pourquoi ont-ils peur ? L'on a peur uniquement quand on n'est pas en accord avec soi-même. Ils ont peur parce qu'ils ne sont jamais parvenus à la connaissance d'eux-mêmes. Ils se rassemblent parce qu'ils ont peur de l'inconnu qui est en eux. Ils sentent que leurs principes sont surannés, qu'ils vivent d'après de vieilles Tables de la Loi et que ni leurs religions ni leurs morales ne répondent aux nécessités présentes. Depuis plus d'un siècle, l'Europe ne fait qu'étudier et construire des usines. On sait exactement combien il faut de grammes de poudre pour tuer un homme mais on ne sait plus comment on prie; on ne sait même plus comment se divertir pendant une heure seulement.

     

    Demian - Hermann Hesse *

     

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    Au printemps à Paris, fleurissent les marronniers. Les premiers à s'épanouir sont ceux du boulevard Pasteur, là où le métro jaillit de dessous la terre et où l'air chaud s'élève par vagues jusqu'aux arbres. En automne, sur les Champs-Élysées, les feuilles avant de tomber prennent une teinte brun-foncé, couleur cigare. En été, durant quelques jours, le soleil se couche en plein centre de l'Arc de Triomphe, vu depuis la place de la Concorde. Les jardins des Tuileries sont les plus beaux de Paris parce qu'ils font partie d'un ensemble ; et face au globe ardent du soleil qui inonde de ses rayons la dalle de L'Arc, on finit par se confondre avec cet ensemble, comme devant le tableau de Rembrandt, Aristote contemplant le buste d'Homère. Il n'y a pas à proprement parler d'hiver à Paris. Il pleut et les gouttes d'eau clapotent et chuchotent contre les vitres et sur les toits. Soudain, en janvier, vers la fin du mois, vient un jour où tout resplendit : il fait bon et le ciel est bleu. Sur les terrasses des cafés, les clients ont quitté leur manteaux et les femmes, vêtues de robes légères, transfigurent la ville. On a beau savoir qu'il reste encore deux mois de mauvais temps à passer, personne n'y fait allusion. Chaque année, ce jour revient telle une fête mobile qui tomberait entre le 20 janvier et le 5 février, laissant sur son passage un parfum de promesse...
     
    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova
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    Le froid reste au fond de l'air. Partout une pellicule de soleil qui craquerait sous l'ongle, mais qui revêt toutes choses d'un éternel sourire. Qui suis-je et que puis-je faire, sinon entrer dans le jeu des feuillages et de la lumière ? Être ce rayon où ma cigarette se consume, cette douceur et cette passion discrète qui respire dans l'air. Laissez-moi découper cette minute dans l'étoffe du temps. La vie est courte est c'est péché de perdre son temps. Je suis actif, dit on. Mais être actif, c'est encore perdre son temps, dans la mesure où l'on se perd.
     
    Albert Camus
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    J’ai compté mes années et j’ai découvert qu’à partir de maintenant, j’ai moins de temps à vivre que ce que j’ai vécu jusqu’à présent. Je me sens comme ce petit garçon qui a gagné un paquet de friandises : la première il la mangea avec plaisir, mais quand il s’aperçut qu’il lui en restait peu, il commença réellement à les savourer profondément. Je n’ai plus de temps pour des réunions sans fin où nous discutons des règles, des procédures en sachant que cela n’aboutira à rien. Je n’ai plus de temps pour supporter des gens stupides qui, malgré leur âge chronologique n’ont pas grandi. Je n’ai plus de temps pour faire face à la médiocrité. Je suis mal à l’aise avec les jaloux, qui cherchent à nuire aux plus capables. Je veux l’essentiel, mon âme est dans l’urgence. Il y a de moins en moins de friandises dans le paquet. Je veux vivre à côté de gens humains, qui savent rire de leurs erreurs, qui ne se gonflent pas de leurs triomphes. Je veux m’entourer de gens qui peuvent toucher le cœur des autres. J’ai l’intention de ne pas perdre une seule partie des friandises qu´il me reste… Je suis sûr qu’elles seront plus exquises que toutes celles que j’ai mangées jusqu’à présent.
    Mon objectif est d’arriver à la fin satisfait et en paix avec mes proches et ma conscience.
    J’espère que le vôtre est le même, car la fin arrivera de toute façon…


    "Le temps précieux de la maturité"  Mário de Andrade, (1893 - 1945) Poète, romancier et musicologue Brésilien.

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    D’ailleurs, pour parler franc, je n’ai jamais eu d’agendas et je n’ai jamais écrit de journal. Cela m’aurait facilité les choses. Mais je ne voulais pas comptabiliser ma vie, je la laissais s’écouler comme l’argent fou qui file entre les doigts. Je ne me méfiais pas. Quand je pensais à l'avenir, je me disais que rien ne serait perdu de tout ce que j'avais vécu. Rien. J'étais trop jeune pour savoir qu'à partir d'un certain moment vous butez sur des trous de la mémoire.

     

    "Encre sympathique"  Patrick Modiano

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