•  

     

    "Peut-être que les morts sont toujours comme des noyés. On croit les ensevelir dans le flot quotidien des joies et des peines ordinaires, des millions d'autres choses à penser ou à faire, et la moindre tempête d'insomnie les ramène au rivage au milieu d'une vague de sueur et d'angoisse..."

     

    Il était une ville - Thomas B. Reverdy *

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Si intimidée qu'on la suppose, une nation vieille de mille ans reste un être organisé, garde un cœur et un cerveau, ne saurait s'arrêter de penser. Elle a besoin d'un fond d'idées et de sentiments communs, d'une opinion : la république a mis près d'un siècle à le créer. Ayant d'abord abruti de notions contradictoires, de grands mots venus d'ailleurs, puis finalement réduit au silence le peuple autochtone, elle a dû se servir, pour refaire peu à peu ce qu'elle avait détruit, des quelques éléments restés à sa disposition. L'ardente minorité juive, admirablement douée pour la controverse, profondément indifférente à la phraséologie occidentale, mais qui voit dans la lutte des idées, menées à coups de billets de banque, un magistral alibi, devint tout naturellement le noyau d'une nouvelle France qui grandit peu à peu aux dépens de l'ancienne jusqu'à se croire, un jour, de taille à jouer la partie décisive. Mais entre-temps, l'autre France était morte... Tradition politique, religieuse, sociale ou familiale, tout avait été minutieusement vidé, comme l'embaumeur pompe un cerveau par les narines. Non seulement ce malheureux pays n'avait plus de substance grise, mais la tumeur s'était si parfaitement substituée à l'organe qu'elle avait détruit, que la France ne semblait pas s'apercevoir du changement, et pensait avec son cancer !

    "La grande peur des bien-pensants" Georges Bernanos

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Les décrets des conciles, les brefs et les encycliques, les prédications et les miracles ne nous apprendraient rien de plus que l'humble vérité que j'énonce ici, avec une tranquille assurance : la société qui se crée peu à peu sous les yeux réalisera aussi parfaitement que possible, avec une sorte de rigueur mathématique, l'idéal d'une société sans Dieu. Seulement, nous n'y vivrons pas. L'air va manquer à nos poumons. L'air manque. Le Monde qui nous observe avec une méfiance grandissante s'étonne de lire dans nos yeux la même angoisse obscure. Déjà quelques-uns d'entre nous ont cessé de sourire, mesurent l'obstacle du regard... On ne nous aura pas... On ne nous aura pas vivants !

     

    "La grande peur des bien-pensants" Georges Bernanos *

     

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    Elle était contre moi, muette, bandée, comme une pesée lourde et nocturne, ses seins durs et nus sous la blouse tendus par la fraîcheur comme une voile étarquée. Mes yeux glissèrent vers la naissance de ces seins que soulevait un souffle sans loi, un nuage les brouilla ; je baissai le front sans mot dire, la bouche sèche, et il me sembla que mes paumes se mouillaient.

     

    Le Rivage des Syrtes (1951)  Julien Gracq

    Partager via Gmail

    votre commentaire
  •  

    J’entends vos protections dans mon silence bleu, habitants pourpres de Vénus, habitants d’Uranus, noirs comme des forgerons. Souvenez-vous que tout ce qui est grand est simple. Seules sont inébranlables et éternelles les quatre règles de l’arithmétique, seule est inébranlable et éternelle la morale basée sur les quatre règles. Elle est la sagesse suprême, le sommet de cette pyramide sur laquelle les hommes, rouges de sueur, haletant et soufflant, grimpent depuis des siècles. De cette hauteur, tout ce qui grouille dans le fond, tout ce qui nous est resté de la barbarie des anciens, présente la même grandeur : la maternité criminelle de O, le meurtre ou encore la folie de cet insensé qui a osé écrire des vers contre l’État Unique. Pour eux, la condamnation est la même : la mort. C’est ce jugement divin auquel rêvaient les hommes des maisons de pierres, éclairés par les rayons roses et naïfs de l’aube de l’histoire : leur « Dieu » punissait de la même façon le sacrilège contre la sainte Église et le meurtre. Vous, Uraniens, sévères et noirs comme ces anciens Espagnols qui savaient si bien brûler les hérétiques, vous gardez le silence ; il me semble que vous êtes de mon avis. J’entends les Vénusiens roses parler de tortures, de châtiments, de retour aux temps barbares. Mes pauvres amis, vous me faites de la peine, vous n’êtes pas capables de raisonner philosophiquement et mathématiquement.

    "Nous autres" Evgueni Zamiatine

    Partager via Gmail

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique