• L’ALLÈGRE ASSASSIN DE SIX MILLIARDS D’INDIVIDUS (3) 1/2

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    Quelque chose m’oblige, pour ne pas me dégoûter de ma propre écriture, à mettre en scène tout ce qui me compose et dont je suis décomposé. Tous les primitifs sont ainsi assez inconscients pour avouer leurs idoles, pour montrer les totems…
     Moi, je n’écris pas pour ceux que l’intimité des choses n’intéresse pas, pour les théoriciens, pour les praticiens, les objectifs, pour ceux qui ne voient aucune magie dans les puissances latentes de la vie, pour ceux que le Swing des Choses ne touche pas, pour ceux que la Raclée Finale n’effraie pas, pour ceux que l’Effervescence n’accable pas, pour ceux qui comprennent tout, pour ceux qui veulent tout comprendre, pour ceux que la politique, l’esprit d’équipe, les examens, l’émulation, le cynisme, les histoires drôles, les échecs, les papiers peints passionnent, pour ceux qui jugent toute beauté absolument inutile et surtout ceux qui ne voient pas tous les vrais mirages qui se trouvent dans une note de musique, comme au fond d’un square, dans la lourdeur d’un sein ou dans un sourire. Je n’écris pas plus pour ceux pour qui les morts sont morts, ceux pour qui une peinture est « bien composée », ceux que l’Exécration Suprême ne blesse jamais, ceux qui ont remplacé l’Idolâtrie par le ricanement, ceux qui ont chassé l’extase de leur détresse, ceux qui ne sont jamais sans défense, ceux qui ne voient aucun prolongement d’aucune sorte dans les conséquences, ceux qui ont besoin de la religion pour être religieux, ceux qui nient les causalités aussi bien que les hasards – pour tous ceux-là, je n’écris pas, je me tais, je m’étrangle mais je me tais.
     Je me suis toujours placé au bord du monde, c’est là que sont les vertiges, exactement comme sur le rebord d’un trottoir, en bas il y a le ruisseau ! Pour être réel il faut se mettre au-dessus d’un trou. Artaud savait où nous sommes réels. En état de trou comme en état d’âme. En état de vertige comme en état de grâce. En état de délire constant. Les fantômes ne sont pas dehors ; dehors il n’y a rien, il faut tomber toute sa vie pour les rejoindre. Je m’ôte du monde. Je pratique ma propre ablation du monde.
     J’étais un petit garçon très bien élevé. Ma mère me mettait sur une chaise : je ne bougeais pas de quatre heures. Immobile sur les banquettes des amis sans rien faire : sans jamais m’ennuyer. C’est ma maladie à moi ça : l’absence d’ennui. Je suis accablé par le manque d’ennui. Ça doit être si agréable de s’abandonner dans l’ennui ! J’étais : là ! Si je lis ou si j’écris, je peux m’interrompre à n’importe quel moment. Rien ne me dérange, moi : je peux m’arrêter immédiatement de lire ou d’écrire. Mais les mots ne sont pas toute la Littérature. Après la lecture, quand l’écriture réécrite par la lecture s’interrompt, la littérature continue. Elle déborde. Elle progresse encore sous d’autres formes : finalement, elle ne s’arrête jamais de tout déformer dans le décor, les sentiments, les lumières, les attitudes.
     Complètement disponible, attentif aussi, parce que c’est sur le tas même que je tisse mon absence. Je ne « pars » bien qu’en restant là. Je transforme spontanément ce que je vis en une espèce de rêve, de magie noire songée où tout disparaît et réapparaît à ma guise, dans toutes les allures possibles. Ainsi ai-je pu traverser les plus difficiles moments de mon existence et y survivre. Je ne vis pas vraiment au moment où ça se passe. Je fais tout au second degré pour l’écrire au premier. Tout est déjà littéraire au moment même où ça m’arrive. Est-ce moi qui transporte la littérature dans l’instant vécu ou bien tout est-il vraiment littéraire continuellement, à l’insu de tous ?
    Nous vivons pour les trois quarts dans une littérature. Un peu de charme. Un peu de drame. En fait ni l’un ni l’autre. Je suis un très grand malade littéraire. Mon organisme est entièrement intoxiqué par la littérature.
     Au début, je ne savais pas encore que j’étais un morceau de littérature. Je l’ai découvert en lisant, assez tard, vers ma treizième année. J’ai compris alors que j’avais été dans un livre sans le savoir depuis toujours. J’ai compris que j’étais mon propre livre, je décidai alors de le lire, et pour cela, je devais d’abord l’écrire. J’ai transformé la vision littéraire que j’avais du monde en littérature.
     Je pense toucher spontanément une certaine réalité, mais il paraît que ce n’est qu’une féerique affabulation, un mirage de réel. Je suis tiraillé entre un désir de connaître la vie – qui ne s’explique du reste que par une pulsion sexuelle anormale, presque accablante pour ma nature – et une peur dégoûtée, viscérale, ancestrale, chromosomique d’y aller vraiment, de toucher, d’y croire, peur que ça me laisse des traces, que ça me blesse. Seul le sexe me maintient en vie. Lui seul m’entraîne loin de la mort. Lui seul déchire la littérature. C’est-à-dire que mon exubérance sexuelle, toute déviée qu’elle soit, est responsable de mon indestructible équilibre intérieur. Ma bite est ma balance. Je touche en baisant à la vie avec autant de puissance que je touche à la mort en écrivant. Le maximum que la vie puisse atteindre, c’est l’amour ; et le maximum de la mort, c’est l’écriture. Je survis engorgé dans ces deux forces. Pour moi, rien n’est plus vivant que ce qu’on ressent. Une émotion écrase tout bonnement tous les actes. La vie ne devient vivante que lorsqu’elle est éprouvée dans le bonhomme. Il faut que la vie (la force vitale qui se dégage de tout à tout instant de notre naissance à notre mort) passe par nous pour qu’elle soit vécue. Si la vie est incapable de se transformer immédiatement en sensation débordante au point de s’incarner littéralement dans le monde extérieur, alors ce n’est pas la vie. C’est l’effet de la vie. C’est la mort qui joue à la vie. J’ai toujours été persuadé que la vraie vie n’est pas supportable : celui qui vivrait véritablement, ce serait celui qui serait tellement béat qu’il en mourrait aussitôt. Pour la plupart, la vie, ce n’est pas assez. Pour moi, c’est trop.  (à suivre)

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