• Je ne sais pas si tu te souviens ...

    Un jour - je ne sais pas si tu te souviens,nous jouions au mort dans ma chambre, à Sèvres. C'était ton tour de faire la morte, tu étais étendue sur mon lit et j'avais beau te serrer contre moi et te couvrir de baisers, tu ne revenais pas à la vie! J'ai eu peur de t'avoir tuée et j'étais ... c'est étrange j'étais ... émerveillé! Il me semblait que si tu étais vraiment morte - toi! je pourrais surprendre la mort sous tes paupières, savoir enfin ce que c'était, mourir ... Peut-être parce que étendue ainsi, immobile, les yeux fermés, sans défense, tu me paraissais tout à coup accessible, tu devenais un objet d'analyse et de connaissance. J'ai toujours cru que le mouvement nous dérobait sans cesse je ne sais quel secret. Je t'appelais doucement - Anne, Anne ... , pour ne pas d'inquiéter si tu étais encore vivante et faire durer, avec mon angoisse, ma misérable espérance. Mais tu as ouvert les yeux en riant aux éclats, j'ai senti que j'avais laissé passer ma chance de savoir, que jamais je ne saurais rien. Je me suis relevé brusquement, tu ne t'en souviens pas, hein? et je suis sorti en claquant la porte. Un instant debout derrière la porte, j'ai hésité. J'ignorais ce que je voulais faire, j'avais peur de le découvrir, j'avais si peur de moi-même que mes mains tremblaient, j'étais en sueur, je parvenais à peine respirer. Alors je me suis jeté dehors, j'ai couru me perdre dans les bois de Sèvre, fou d'impuissance, d déception - et pourtant sans le savoir, car je devais avoir quinze ans, seize à la rigueur ... non: quinze. Tout à coup je me suis arrêté. J'étais en pleine forêt, seul, c'était l'hiver - et quelqu'un m'écoutait. Quelqu'un marchait et faisait parfois craquer des branches autour de moi, comme il fait craquer les meubles dans une chambre où l'on est seul. Quelqu'un m'attendait et me regardait vivre et souffrir. D'arbre en arbre, cette présence se rapprochait, m'enfermait, et depuis je n'ai jamais cessé de la sentir se rapprocher, de jour en jour, d'être en être, se cachant derrière les objets, se cachant derrière ton visage - quelquefois tes yeux m'ont fait peur qui l'abritaient innocemment - et me regardant toujours d'un peu plus près, ni en ennemie, ni en amie, ni en juge, mais plutôt à la manière de la mort : avec indifférence...

    "La côte sauvage" Jean-René Huguenin *

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