• I - CONTRE L’INDIFFÉRENCE (4) 3/3

    La psychanalyse, une consolation

    Les catholiques intégristes sont résolument hostiles au freudisme. « La psychanalyse, comme moyen curatif, n’est pas seulement une école d’irresponsabilité, mais aussi un instrument par lequel l’homme est déshumanisé », écrit le R. P. Gemeli. La Pensée catholique mène une lutte acharnée : « Sous prétexte de science et grâce au prestige dont jouit ce qui se pare de ce grand nom, tous les voiles vont être mis en pièces, les soucis les plus élémentaires de pudeur vont être piétinés. Les hommes, par ce détour de la science, ont trouvé des moyens de profaner en paix leur propre mystère, de se jeter à la figure des expressions qui les ravalent, parce qu’elles impliquent la dégradation de leur propre mystère. Une collection de complexes ignominieux excogités par les racleurs de poubelle psychique, voilà les aimables choses dont il devient courant de parler et d’écrire… » *
    Ce que les catholiques intégristes reprochent avant tout à la psychanalyse, c’est son aspect profanatoire : elle attente au mystère de l’âme. Ils s’inspirent au fond du même principe que Freud : c’est que la conscience tue. « Une affection qui est une passion, disait déjà Spinoza, cesse d’être une passion dès que nous en formons une idée claire et distincte. » Mais ce pouvoir meurtrier de la conscience, dont Freud fait un élément de la santé psychique, un brasier salutaire et purificateur, une sorte d’autoclave, apparaît précisément aux catholiques intégristes comme un instrument de destruction de l’âme. Ils ont fort bien compris qu’en limitant, par la psychanalyse, le domaine de l’inconscient, on appauvrit en même temps les aliments de la sensibilité et par conséquent de la foi. Pire encore : on supprime le conflit intérieur, la lutte de la volonté contre l’instinct, du Bien contre le Mal. Le péché n’est plus qu’une maladie comme une autre, et les victimes involontaires dont il s’empare peuvent guérir en payant. La psychanalyse apparaît ainsi comme une sorte d’exorcisme laïque, qui ne menace peut-être pas l’autorité de Dieu, mais qui ridiculise le Diable. *
     Pour les catholiques, le vrai problème est là : le Diable, de nos jours, perd du terrain – ce qui est d’ailleurs, selon Baudelaire, sa façon à lui d’en gagner, puisque sa plus grande ruse « est de nous faire croire qu’il n’existe pas ». La fraction avancée des catholiques ne croit plus au Diable, dont l’arsenal maudit, flamboyant et sulfureux, lui paraît désuet, puéril et trop peu scientifique. Si elle n’a pas encore honte de croire en Dieu, c’est que Dieu se ramène plus facilement à une idée générale, abstraite et vague, et qui, par conséquent, les engage moins, les coupe moins de ce progrès et de ces lumières dont ils sont si vains. Aux découvertes de la psychanalyse, ceux-là applaudissent à tout rompre. Emportés par leur naïf élan, ravis d’utiliser quelques mots savants et de caresser du bout des doigts, mine de rien, le vieil arbre de science qui excite d’autant plus leur gourmandise qu’il effraie moins leur conscience assoupie, ils finissent par déclarer que « la guerre sainte donna un exutoire aux passions refoulées » ou, comme un critique d’Ecclésia à propos de l’évolution religieuse des adolescents, que « la confidence renseigne plus que la confession, laquelle réveille souvent des sentiments de culpabilité ». C’est trop de douceur. En somme, il faut éviter que les chérubins se sentent coupables des péchés dont ils s’accusent. *
     Entre les intégristes et les progressistes, l’Église officielle, prudente, embarrassée, balance. En 1953, le pape prend position ; il donne à la psychanalyse sa « charte catholique », non sans faire trois importantes réserves : l’Église admet que le sentiment de culpabilité peut devenir « irraisonné, maladif », et qu’il relève alors de la compétence psychanalytique ; « mais… il est sûr que la culpabilité réelle, aucun traitement purement psychologique ne la guérira » : la confession garde ainsi ses droits. D’autre part, le pape insiste sur « la sauvegarde des secrets que met en danger l’utilisation de la psychanalyse ». La dernière réserve porte sur les « troubles sexuels », et sur le principe de « leur évocation à la conscience » qui « ne vaut pas si on le généralise sans discernement ».
     Ainsi, une fois de plus, catholiques et marxistes se retrouvent. Ils s’inclinent devant l’efficacité médicale du freudisme, tout en refusant sa conception de l’homme. À vrai dire, ils ont, sans doute, exagéré l’importance et les dangers de la psychanalyse. Ce qui mérite notre inquiétude, ce ne sont pas tant ses principes et ses méthodes que les raisons de son succès. Elle comble un vide. Elle répond à un besoin accru et douloureux de communication, de consolation, d’absolution. L’homme d’aujourd’hui serait-il plus seul, plus triste, plus coupable que jamais ?

    "Une autre jeunesse" Jean-René Huguenin *

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