• Des heures passeraient...

     

    Des heures passeraient désormais sans faire renaitre le moindre espoir, et les plus grandes preuves de docilité étaient vouées à l'échec comme toutes les tentatives de rébellion. La partie semblait donc perdue. C'est alors que Thomas, pour brusquer les choses, se mit à les dévisager tous, même ceux qui se détournaient, même ceux qui, lorsque leurs regards croisaient les siens, le fixaient à ce moment moins que jamais. Personne n’aurait été d'humeur à supporter longtemps ce regard vide, exigeant, qui réclamait on ne savait quoi et qui errait sans contrôle, mais sa voisine le prit particulièrement mal : elle se leva, arrangea ses cheveu, essuya son visage et prépara son départ en silence. Comme ses mouvements étaient fatigués! Tout à l'heure, c'est la lumière baignant sa figure, le reflet éclairant sa robe, qui rendaient sa présence si réconfortante, et maintenant cet éclat s'évanouissait. Il n'y avait plus qu'un être dont la fragilité apparaissait dans la beauté fanée et qui perdait même toute réalité, comme si les contours du corps n'avaient pas été dessinés par la lumière, mais par une phosphorescence diffuse, émanée, croyait-on, des os. Nul encouragement n'était plus à attendre d'elle. En s'acharnant avec indécence dans sa contemplation, l'on ne pouvait que s'enfoncer dans un sentiment de solitude où, si loin qu'on voulût aller, l'on s perdrait et continuerait à se perdre. Pourtant, Thomas refusa de se laisser convaincre par de simples impressions. Il se retourna même intentionnellement vers la jeune fille, bien qu'il ne l'eût en somme pas quittée des yeux. Autour de lui, chacun se levait dans un désordre et un brouhaha désagréables. Il se leva, lui aussi, et, dans la salle maintenant plongée dans la pénombre, mesura du regard la distance qu'il lui fallait franchir pour atteindre la porte. A cet instant, tout s'alluma, les lampes électriques brillèrent, éclairèrent le vestibule, rayonnèrent à l'extérieur où il semblait qu'on dût entrer comme dans une épaisseur chaude et moelleuse. Au même moment, la jeune fille l'appela du dehors d'une voix décidée, presque trop forte, qui résonnait d'une manière impérieuse, sans qu'on pût distinguer si cette force venait de l'ordre qui était transmis ou seulement de la voix qui le prenait trop au sérieux. Le premier mouvement de Thomas, très sensible à cette invitation, fut d'obéir en se précipitant dans l'espace vide. Puis, lorsque le silence eut recouvert l'appel, il ne fut plus aussi sûr d'avoir réellement entendu son nom et il se contenta de prêter l'oreille en espérant qu'on l’appellerait à nouveau. Tout en écoutant, il songea à l'éloignement de tout ces gens, à leur mutisme absolu, à leur indifférence. C'était pur enfantillage que d'espérer voir toutes les distances supprimées par un simple appel. C'était même humiliant et dangereux. Là-dessus, il releva la tête et, ayant constaté que tout le monde était parti, à son tour il quitta la pièce.

    " L'obscur Thomas"  Maurice Blanchot

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