• De l’Être-Humain mâle et femelle (4)

    Hélas ! pour plaire à son seigneur et maître, elle n’a pas eu besoin d’une grande dépense de force intellectuelle et morale. Pourvu qu’elle singeât la guenon dans ses grimaces et ses minauderies ; qu’elle s’attachât de la verroterie ou de la bimbeloterie au cou et aux oreilles ; qu’elle s’accoutrât de chiffons ridicules, et se fit des hanches de mère Gigogne ou de Vénus hottentote à l’aide de la crinoline ou de l’osier; pourvu encore qu’elle sût tenir un éventail ou manier l’écumoir; qu’elle se dévouât à tapoter sur un piano ou à faire bouillir la marmite ; c’était tout ce que son sultan demandait d’elle, tout ce qu’il en fallait pour mettre l’âme masculine en jubilation, l’alpha et l’oméga des désirs et des aspirations de l’homme. Cela fait, la femme avait conquis le mouchoir.

    Celle qui, trouvant honteux un pareil rôle et de pareils succès, voulut faire preuve de bon goût et de grâce, joindre le mérite à la beauté, témoigner de son coeur et de son intelligence, celle-là fut impitoyablement lapidée par la multitude des Proudhons passés et présents, poursuivie du nom de bas-bleu ou de quelqu’autre imbécile sarcasme, et forcée à se replier sur elle-même. Pour cette foule d’hommes sans coeur et sans intelligence, elle avait péché par trop de coeur et trop d’intelligence : on lui jeta la pierre ; et bien rarement il lui fut donné de rencontrer l’homme-type qui, la prenant par la main, lui dit : femme relevez-vous, vous êtes dignes [sic] d’amour et digne de la Liberté.

    Non, ce qu’il faut à l’homme, c’est-à-dire à celui qui usurpe ce nom, ce n’est pas la femme dans toute sa beauté physique et morale, la femme aux formes élégantes et artistiques, au front auréolisé de grâce et d’amour, au coeur actif et tendre, à la pensée enthousiaste, à l’âme éprise d’un poétique et humanitaire idéal ; non, à ce niais badaud courreur de foires, ce qu’il faut c’est une figure de cire enluminée et empanachée ; à ce gastronome de bestialité, en extase devant les étals de boucheries, ce qu’il faut, vous dis-je, c’est un quartier de veau orné de guipures ! Si bien que, rassasiée de l’homme qu’elle trouvait si crétin, blasée de celui en qui elle cherchait en vain l’organe du sentiment, la femme – c’est l’histoire qui le dit, je veux croire que c’est une fable, un conte, une bible – la femme – oh ! voilez-vous, chastes yeux et chastes pensées – la femme aurait passé du bipède au quadrupède... Ane pour âne, il était naturel, après tout, qu’elle se laissât séduire par la bête de plus gros calibre. Puis enfin, comme la nature l’avait douée de facultés morales trop robustes pour être anéanties par le jeûne, elle s’est détournée de l’Humanité et est allée chercher dans les temples de la superstition, dans les religieuses aberrations de l’esprit et du coeur, l’aliment aux aspirations passionnelles de son âme. A défaut de l’homme rêvé par elle, elle a donné ses sentiments d’amour à un dieu imaginaire, et, pour les sensations, le prêtre a remplacé l’âne !

    Ah ! s’il est de par le monde tant d’abjectes créatures femelles et si peu de femmes, hommes, à qui faut-il s’en prendre? Dandin-Proudhon, de quoi vous plaignez-vous? Vous l’avez voulu...

    Et cependant vous avez, vous, personnellement, je le reconnais, fourni de formidables coups de boutoir au service de la Révolution. Vous avez entaillé jusqu’à la moëlle le tronc séculaire de la propriété, et vous en avez fait voler au loin les éclats; vous avez dépouillé la chose de son écorce, et vous l’avez exposée dans sa nudité aux regards des prolétaires ; vous avez fait craquer et tomber sur votre passage, ainsi que des branches sèches ou des feuilles mortes, les impuissantes repousses autoritaires, les théories renouvelées des Grecs des socialistes-constitutionnels, la vôtre comprise; vous avez entraîné avec vous, dans une course à fond de train à travers les sinuosités de l’avenir, toute la meute des appétits physiques et moraux. Vous avez fait du chemin, vous en avez fait faire aux autres; vous êtes las, vous voudriez vous reposer; mais les voix de la logique sont là qui vous obligent à poursuivre vos déductions révolutionnaires, à marcher en avant, toujours en avant, sous peine, en dédaignant l’avertissement fatal, de sentir les crocs de ceux qui ont des jambes vous déchirer.

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