• Une maladie du silence

    Deux psychologues, un homme et une femme, décrivent en détail leurs rencontre avec une malade et sa famille. Une jeune fille souffre d'hallucinations. Elle entend des voix qui la gouvernent, qui la condamnent. Au fil des rencontres, les questions posées aux parents font apparaître la pauvre vérité. Au départ, un peu de boue, un peu de honte. Une femme trop vivante au gré de son entourage, une femme trop libre pour se soumettre à aucune loi - sinon à celle d'aimer. Cette femme, la famille n'en veut plus. Elle n'a pas de place chez nous: qu'on lui enlève son visage et son nom, qu'on l'efface de toutes mémoires. Elle n'aura plus de place que dans le silence - un abcès de silence qui va d'une génération à la génération suivante, une maladie des voix - dans cette souffrance d'une enfant. Les psychologues rapportent scrupuleusement les propos de chacun des parents, ménageant des pauses avant les paroles les plus éclairantes. Ce qui vous étonne, ce n'est pas l'histoire. Elle est, au fond, assez banale. Toutes les maisons ont leur enfer. Ce qui vous étonne, c'est la jouissance contagieuse qui gagne leur auditoire - la tache d'huile d'une jouissance sur les gradins de l’amphithéâtre. La malade c'est celle qui parle et ne sait ce qu'elle dit. Les médecins ce sont ceux qui croient savoir ce qui est dit, et qui se réjouissent de la croire. La malade c'est celle qui vient en aide aux médecins, qui aide les médecins à jouir de la grande pertinence de leur pensée. Les deux psychologues parlent à tour de rôle, se répartissent les dialogues. Vous connaissez à les entendre un plaisir mêlé de dégoût. Vous les voyez comme un couple. Ils ont la même voix suave pour dire le pire. La même jubilation à dire. Qu'est-ce qui fait un couple? Qu'est-ce qui, en présence d'un homme et d'une femme, impose parfois cette image conjugale? Ce n'est pas nécessairement une histoire qu'ils auraient en commun. Ce n'est même pas lié à une entente amoureuse. La mésentente n'empêche pas l'image du couple d'apparaître, au contraire. Vous écoutez cette histoire des deux famille - celle des médecins, celle de la malade. Ce qui fait un couple ce n'est ni un lit, ni une maison, ni une histoire. Ce qui fait un couple c'est la nourriture: un couple c'est quand deux respirent le même air, avalent la même nourriture - la même amertume ou la même joie. Et ces deux-là, qu'est-ce qu'ils mangent? Ils mangent de la souffrance, du malheur. Ils s'en délectent, ils s'en régalent. La parole qui est derrière la table ne vient même plus jusqu'à vous, maintenant. La parole reste sur la table et vous regardez ceux qui la prennent avec leurs mains et la portent à leur bouche, vous regardez ceux qui, dans l'envie de l'assistance, engloutissent des parts entières d'une vérité noire, d'une parole avariée, et vous prend soudain la nostalgie violente d'une autre nourriture, l'envie d'en revenir à cette parole légère sous des tôles ondulées - l'exquise saveur d'un thé sans eau, l'enfance sans remède, la vérité inguérissable, la perfection du thé sans thé.

    "L'inespérée" C.B.

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