• TOUT DOIT DISPARAÎTRE (1)

     

    1.

    Tout livre est religieux parce que toute religion se pratique d’après un livre. L’art est venu de la religion. C’est la raison pour laquelle il était dangereux. Pour produire une force, il faut être dans un état magique. Mettre dans chaque chose un rite. Il n’y a plus du tout de danger dans l’œuvre d’art parce que plus aucun artiste n’est véritablement mystique. Faire une œuvre d’art est l’acte le plus religieux du monde. C’est fini.
     Les vrais religieux n’érigent pas de lois : ils les massacrent. La Saint-Barthélemy n’est pas un dogme. Cent ans après, Nietzsche ne fait qu’introduire Sade. *
     Les hommes ont besoin d’idoles. Il y a les mystiques et les non. Si vous croyez que certains sont capables de certaines choses et d’autres pas, vous êtes mystique. Le christianisme n’est pas l’obstacle qui empêche l’homme d’atteindre Dieu, parce que Dieu n’existe pas : il faut bien se mettre ça dans la tête. C’est Jésus qui a existé. C’est Jésus qui a bâti cette civilisation qui, par une logique imparable, plus elle progresse moins elle croit en Dieu. Pourtant on donnerait presque raison à ceux qui voient les causes de la décadence dans le pourrissement de Dieu !
     C’est que sur le plan humanitaire, la religion n’intéresse plus le monde… Je me suis époumoné à le répéter toute ma vie : ce qui fait la richesse d’un pays, ce n’est pas du tout son sol ni son sous-sol mais l’état de civilisation dans lequel son peuple se trouve. Et le maximum civilisé auquel peut prétendre une société, c’est l’athéisme, l’abolition de la religion. C’est pitoyable, mais c’est comme ça. La date que choisit Sade pour apparaître dans l’histoire politique de notre pays tendrait à nous faire prendre la Révolution française pour le début de cet essor. Danton lisait Justine. Robespierre et Saint-Just trouvaient des forces dans les livres de Sade. D.A.F. de Sade était le Sang qui revigorait les exécuteurs de marquis, de mystiques, de religieux. La crucifixion de la religion s’appuie sur cet aphrodisiaque. Sade : mort du catholicisme ? Nietzsche : naissance de l’Antéchrist ? Le Messie fut-il le tout premier bourgeois ? Dieu étant tombé dans le petit panier ?… *
     Je parle un peu de Sade parce que si j’avais une utopie à formuler, elle se rapprocherait beaucoup de la sienne. Je suis le contraire d’un type qui a un idéal politique, mais j’avoue être séduit et excité par les seules constructions sociales du marquis, cette anarchie maniaque, cette anarchie bien huilée, ce communisme monarchiste, cette république aristocratique, pleine de fascisme, tous ces va-et-vient contradictoires qui font de Sade le plus grand visionnaire politique de tous les temps parce qu’il fait tourner la table du politique dans toute sa puérilité à venir : il fallait un théoricien d’un tel registre pour nous mettre le nez dans les faux problèmes et les Grands Échecs Futurs qu’un animal aussi grotesque que le héros politique nous préparait. Ce n’est pas un hasard si ce Sade-là se double d’un écrivain à peine croyablement génial, et qui comble toute l’histoire. C’est à pleurer de voir que des êtres humains se consacrent encore à la politique et fomentent des partis automatiquement débiles, qu’on prend toujours au sérieux les toubibs du mal social et jamais les mystiques impraticables. Comment peut-on s’intéresser à l’avenir d’un monde qui s’articule en trois endroits : Jésus, la Révolution française et l’Apocalypse selon saint Adolf ? Paradis, Purgatoire, Enfer : on ne peut pas descendre plus bas. L’Histoire est finie.
     Quelle autre époque, voulez-vous bien me dire, que la nôtre aurait mieux conçu le principe d’utopie ? Vieux palais pourri où l’on assiste à une faillite des idées. Confusion où tout et rien sont possibles. Très bien ! Le monde est en train de changer à une vitesse très grande : et toutes ses doctrines et théories se viandent au moment même de leur éjaculation. Tout débande spontanément en croulant dans les surcharges poilues des hypothèses : ou bien il va y avoir une guerre, ou bien un retour de bâton fasciste, ou bien quelques révolutions, ou bien des invasions, ou bien des dépôts de bilans, ou bien des menaces de dictature ou de régime policier. Ou bien, ou bien ! C’est tout ce qu’ils ont trouvé, les cons ! Utopistes réalistes ! La planète accepte mal son divin désordre : les solutions qu’elle s’offre pour débroussailler ses spaghetti sont pitoyables : elle n’a pas la vue cosmique, la planète ! La Grande maturité de se régaler de ses contradictions, de sa pourriture somptueuse !*

    "Au régal des vermines" Marc-Edouard Nabe

     

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