• Nous étions ses deux seuls clients

     

    Nous étions ses deux seuls clients.
     — Lequel d’entre nous doit mettre les voiles ? demandai-je.
     — CELUI QUI RESSEMBLE À CÉLINE. QU’IL SE CASSE EN QUATRIÈME VITESSE.
     — Mais pourquoi ?
     — JE N’ENCAISSE PAS LES GENS QUI NE VEULENT RIEN M’ACHETER.
     Céline ou qui que ce fût d’autre sortit. Je le suivis.
     Il traversa Hollywood Boulevard, puis s’arrêta devant un kiosque à journaux.
     Aussi loin que je me souvienne, ce kiosque a toujours été là. Une fois – il y a de ça vingt ou trente ans –, j’y avais abordé trois putes que j’avais traînées jusque chez moi. Même mon chien avait eu sa gâterie, une bonne branlette. Qu’elles lui firent en se poilant. Elles étaient bourrées d’alcool et d’amphètes. Ça marchait bien jusqu’au moment où l’une d’entre elles fonça vers les toilettes. Comme elle tenait à peine debout, elle s’y écroula les quatre fers en l’air, puis elle essaya de défoncer la cuvette des chiottes à grands coups de tête. Il y avait du sang partout. Tout mon stock de grandes serviettes de bain y passa. À la fin, elle ressemblait à une momie sanglante. Je parvins à la glisser dans mon lit et revins m’asseoir avec ses copines qui finirent par lever le camp. Ma momie sanglante squatta quatre jours et quatre nuits ma piaule, buvant toute ma bière et me parlant sans arrêt des deux gosses qu’elle avait à Kansas City.
     Mon client – était-ce vraiment Céline ? — lisait un magazine.
     Le New Yorker. Qu’il n’acheta d’ailleurs pas.
     — Eux aussi ont un problème, dit-il en me fixant.
     — Ah, bon !
     — Ils ne savent pas écrire. Aucun d’entre eux.
     Survint alors un taxi en maraude.
     — TAXI ! cria Céline.
     Le taxi se mit à ralentir, et Céline se précipita vers lui, en ouvrit la portière et s’engouffra à l’intérieur.
     — HÉ, criai-je à mon tour, J’AIMERAIS VOUS POSER UNE PETITE QUESTION.
     Le taxi accéléra. Baissant la vitre, Céline laissa apparaître un bras, puis d’un doigt tendu il me fit le geste obscène qui humilie avant que la voiture ne se fonde dans le flot de la circulation.
     C’était bien le premier taxi que je voyais sur cette partie d’Hollywood Boulevard. Je veux dire vide et cherchant le client.

    "Pulp" Charles Bukowski

    « GoGo Penguin - ParasiteVanessa Van Basten - Scolopendra »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :