• MARDI 13 MARS 1956

     


    Les jeunes gens commencent par être timides, puis deviennent peu à peu sûrs d’eux-mêmes, plus à l’aise, ils vieillissent, c’est-à-dire qu’ils s’adaptent. Moi, j’ai été un jeune homme tranquille et sûr de lui, plein d’aisance dans les réunions mondaines, jamais embarrassé, jamais gêné. Puis je suis devenu timide et j’ai appris à rougir : je rougis quand je pense, plus ou moins consciemment : Mais qu’est-ce que je fais ici ? Avec
    ces gens ! Je suis furieux et honteux de me surprendre en conflit avec moi-même, en flagrant délit de désobéissance. On croit peut-être que c’est la timidité qui me donne ces couleurs insolites. Mais on se trompe. Les gens seraient offusqués, effrayés, d’apprendre pourquoi je rougis. Je rougis de colère.
    – En ce moment, en ce moment du moins, les moindres éparpillements, les petites dispersions avec « les gens » me donnent des haut-le-cœur et je retourne à ma solitude et à mon travail avec la tendresse, le réconfort, la paix du lion chassé qui retrouve sa tanière secrète.
    – M. Lehideux, qui a l’air d’un homme remarquable, a confirmé ce pressentiment que nous avions, J. L. M. et moi, d’un renouveau, d’un jaillissement, d’un réveil de la France, de l’époque. Il voit ça, lui, sous l’angle politique surtout, et social. Mais tout se tient. Il prétend qu’après avoir longtemps flotté entre deux eaux nous venons de toucher le fond avec l’Algérie, et que nous allons émerger de nouveau, d’un vigoureux coup de talon. Cela est certain. Je suis prêt à le jurer. Pauvres Sagan, Blondin et autres ! D’une manière générale, pauvres gens qui ont pris le mauvais train, le train qui partait le premier, et auxquels on annonce qu’il s’arrêtera en route, qu’il est condamné à dérailler, alors que le train suivant, celui dans lequel je suis monté, ira droit au but sans arrêts. Vivre avec la foi, l’intensité, dans une époque déserte et stérile, cela est beau, cela est grand, bien que triste et lourd à souffrir. Mais vivre dégoûté et blasé dans une époque qui renaît et s’épanouit, quel calvaire !
    Ah ! il va s’en passer, des choses !

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