• Jusqu'à la nuit

     

    Le téléphone ne sonne pas. S'il sonne, je le décroche. Je le rebranche ensuite au cas où il sonnerait et où je voudrais répondre, mais je réponds rarement.

    L'arbre le plus à gauche, dans la fenêtre, a des feuilles si vertes qu'elles sont jaunes, de gros moineaux s'y agitent. je les aperçois à peine.

    L'église, la rue, le golfe de toits à gauche de l'église composent le fond d'une image : deux fenêtres, des arbres tièdes, un catalpa ? un arbre de Judée ?

    J'ai pris l'habitude de m'y étendre par le regard, assis sur une chaise. Sur la table j'ai posé les papiers, les livres, les lettres que je reçois et auxquelles je n'arrive pas à répondre.

    Le soir quand la lumière se concentre, et avance, en oblique, parfois portant du soleil, parfois pas, jusqu'à mes pieds. Je m'assieds sur cette même chaise, face à l'image.

    J'y reste jusqu'à la nuit.

    Pas pour regarder, j'ai déjà vu, pas pour attendre, quand rien ne viendra, juste par un geste, de continuité.

    A hauteur de mes yeux, à peu près, est le point d'où a été composée l'image, la photographie, où l'on voit, ce que je vois et viens, paresseusement, de décrire, que je ne regarde pour ainsi dire plus jamais, cette image est sur le mur face à moi.

    Je pourrais voir, sur le mur, distinctement cette image, je pourrais la voir, parfaitement dans la nuit même, mais je ne la regarde pas. cette image qui te contient.

     
    "Quelque chose noir"  Jacques Roubaud
    « E-L-R - Three Winds[RARE] Stéphane MALLARMÉ – Film exceptionnel d'Éric Rohmer (1968) »
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