• Vïï (7)

    « Un village ! Parole d’honneur, un village ! » s’écria le philosophe.

    Ses conjectures ne le trompaient point. Au bout de quelques instants, ils rencontrèrent un petit hameau, qui ne comprenait que deux maisons réunies par une cour commune. On voyait de la lumière aux fenêtres ; une dizaine de pruniers étendaient leurs branches par-dessus la clôture. En regardant par les fentes du portail nos voyageurs aperçurent à la lueur de quelques rares étoiles des chariots de rouliers.

    « En avant, les gars, dit le philosophe ; il s’agit de ne pas flancher et d’obtenir un gîte coûte que coûte. »

    Les trois hommes de science frappèrent ensemble à la porte et s’écrièrent d’une voix :

    « Ouvrez ! »

    La porte d’une des masures cria sur ses gonds et au bout d’une minute nos boursiers virent apparaître devant eux une vieille femme engoncée dans une peau de mouton.

    « Qui est là ? cria-t-elle en toussant sourdement.

    – Laisse-nous passer la nuit chez toi, ma bonne ; nous nous sommes égarés et il fait aussi mauvais dans la campagne que dans un ventre affamé.

    – Et quelles gens êtes-vous ?

    – Des gens de tout repos : le théologien Haliava, le philosophe Brutus et le rhétoricien Gorobets.

    – Impossible, grogna la bonne femme, c’est plein de monde chez nous, tous les coins sont occupés. Où vous mettrais-je ? Et puis, grands et forts comme vous êtes, vous feriez crouler ma maison si je vous y logeais ! Je les connais, ces philosophes et ces théologiens : quand on s’avise de recevoir de pareils ivrognes, tout ce qu’on a est au pillage. Allez-vous-en, il n’y a pas de place ici pour vous.

    – Prends pitié de nous, ma bonne. Tu ne vas pas laisser périr de gaieté de cœur des âmes chrétiennes. Mets-nous où tu voudras, et si nous faisons ceci ou cela… enfin n’importe quoi… que nos mains se dessèchent et qu’il nous arrive… ce que Dieu seul peut savoir ! »

    suite ...