• Vïï (37)

    Les dernières fumées de l’ivresse s’étaient dissipées. Tout en multipliant ses signes de croix, en marmottant ses oraisons tant bien que mal, Thomas entendait la troupe immonde s’agiter autour de lui. Les monstres l’effleuraient du bout de leurs ailes et de leurs horribles queues. Il n’avait pas le courage de les considérer avec attention ; il n’en distinguait qu’un, gigantesque, celui-là, et qui occupait tout un pan de muraille. Ce monstre n’était qu’une immense forêt de poils ébouriffés au fond de laquelle deux yeux fixes regardaient, en soulevant légèrement leurs paupières. Au-dessus de lui se tenait en l’air une sorte d’énorme vessie allongeant un millier de pinces et de dards auxquels pendaient des lambeaux de terre noirâtre. Tous ces êtres fabuleux cherchaient Thomas, tous le regardaient mais ne pouvaient le voir, entouré qu’il était de son cercle magique.

    « Allez chercher Viï, s’écria la morte. Amenez-le, amenez-le ! »

    Et sur-le-champ il se fit dans l’église le plus profond silence. Un hurlement monta dans le lointain, et bientôt des pas lourds retentirent sous les voûtes. Un coup d’œil furtif permit au philosophe de voir qu’on amenait un petit bonhomme trapu, courtaud, cagneux, tout souillé d’une terre noire sur laquelle ses pieds et ses mains faisaient saillie comme des racines noueuses. Il ne marchait qu’avec peine et trébuchait à chaque pas. Les longs cils se ses paupières fermées tombaient jusqu’au sol. Thomas remarqua avec terreur que son visage était de fer. On le conduisit, en le soutenant sous les bras, tout droit devant la place où se trouvait le philosophe.

    « Levez-moi mes paupières, je ne vois rien, prononça Viï d’un ton caverneux.

    – Ne regarde pas », souffla au philosophe une voix intérieure.

    Il ne put retenir sa curiosité et regarda.

    « Le voilà ! » s’écria Viï en le désignant de son doigt de fer.

    La horde entière se rua sur le philosophe. Frappé d’épouvante, il tomba de son haut et trépassa sur le coup.

    suite ...