• Vïï (36)

    Enfin il se coucha et s’endormit sur la place. Quand vint le moment de dîner, il fallut lui verser sur la tête un plein seau d’eau froide pour le réveiller. Pendant le repas, il décrivit prolixement les qualités du vrai Cosaque, lequel, à l’entendre, devait avant tout ignorer la crainte.

    « Il est temps, allons ! dit soudain Iavtoukh.

    – Allons ! » répéta le philosophe en se levant. « Que la langue te pèle, ragot de malheur ! » ajouta-t-il à part soi.

    Tout le long du chemin le philosophe ne cessait de scruter les alentours. C’est en vain qu’il essaya de faire parler ses compagnons : Iavtoukh gardait le silence et Doroche lui-même n’était pas en train. Il faisait une nuit d’enfer. Une bande de loups hurlaient dans le lointain et l’aboiement même des chiens avait quelque chose d’angoissant.

    « Ce ne sont pas des loups qui hurlent, fit observer Doroche ; on dirait des hurleurs d’une autre espèce. »

    Iavtoukh continuait à se taire et le philosophe ne trouva rien à répliquer.

    Ils pénétrèrent enfin dans la vétuste église, dont les lambris vermoulus accusaient le peu de souci que le seigneur prenait de Dieu et de son salut. Iavtoukh et Doroche se retirèrent comme les soirs précédents et le philosophe resta seul.

    Il s’arrêta un instant. Tout, autour de lui, gardait le même aspect lugubre. Le cercueil de la terrible sorcière était toujours là, au milieu, dans sa sinistre immobilité.

    « Je n’aurai pas peur ; non, Dieu m’en est témoin, je n’aurai pas peur », dit-il.

    Et après s’être entouré de son cercle protecteur, il se remémora tous les exorcismes qu’il connaissait. Dans l’église qu’illuminait la flamme tremblotante des cierges, un silence atroce planait. Le philosophe tourna une page, puis une autre, et remarqua soudain qu’il récitait toute autre chose que le contenu de son rituel. Il fit un signe de croix et se mit à chanter ses psaumes. Cela le rassura quelque peu ; les feuillets se suivaient l’un après l’autre, quand tout à coup, au milieu du silence, le couvercle en fer du cercueil éclata avec un horrible vacarme, et la morte se leva, encore plus hideuse que la veille. Ses dents claquèrent furieusement, des convulsions agitèrent ses lèvres, et dans un odieux glapissement elle commença ses invocations. Un tourbillon s’éleva, brisant les vitres, jetant à terre les saintes images ; la porte fut arrachée de ses gonds ; une horde se rua dans le saint lieu, qu’elle emplit bientôt d’un grand bruit d’ailes, d’un long froissis de griffes : cela rampait, courait, volait, cherchait partout le philosophe.

    suite ...