• Vïï (29)

    Néanmoins, tout en feuilletant son livre, il coulait des regards vers le cercueil, tandis qu’une voix intérieure lui murmurait : « Elle va se lever, se dresser, te regarder ! »

    Mais le silence restait sépulcral, le cercueil ne remuait pas, les cierges versaient des torrents de lumière. Quel lugubre spectacle qu’une église illuminée, au cœur de la nuit, avec un cadavre au beau milieu, et pas une âme à l’entour.

    Pour chasser ses dernières craintes, Thomas se mit à chanter en haussant la voix et sur tous les tons ; mais à tout instant il tournait les yeux vers le cercueil, comme harcelé par l’invariable question :

    « Si elle allait se lever, si elle allait se lever ! »

    Mais non, le cercueil demeurait immobile. Aucun son ne décelait la présence d’un être vivant, pas même d’un grillon. On n’entendait que le léger pétillement d’un cierge éloigné, ou le bruit mat d’une goutte de cire tombant sur le plancher.

    « Si elle allait se lever ?… »

    Elle souleva la tête.

    Il se frotta les yeux, tout effaré. Non, il ne rêvait pas ; elle n’était plus couchée, elle s’était mise sur son séant. Il détourna les yeux… pour les reporter l’instant d’après sur la morte. Horreur ! Elle s’est levée, elle marche les yeux fermés, les bras étendus comme si elle voulait saisir quelqu’un !

    Elle vient droit à lui. Dans son effroi il traça du doigt un cercle autour de sa place et prononça avec effort les prières, les formules d’exorcisme que lui avait enseignées un moine expert en la matière, pour avoir eu toute sa vie commerce avec les sorcières et les esprits immondes.

    La morte s’avança jusqu’à la trace du cercle, mais n’osa pas franchir cette limite. Devenue subitement bleue et livide comme le cadavre d’une personne décédée depuis plusieurs jours, elle offrait cette fois des traits tellement hideux que Thomas n’eut pas la force d’en soutenir la vue. Elle fit claquer ses dents les unes contre les autres et ouvrit ses yeux morts ; mais elle ne vit rien, car son visage trembla de fureur ; alors elle se dirigea d’un autre côté, les bras toujours étendus : tâtant les murailles, s’accrochant aux colonnes, elle cherchait de toute évidence à saisir Thomas. Elle s’arrêta enfin, leva un doigt menaçant et se recoucha dans son cercueil.

    suite ...