• Vïï (25)

    Spirid commença en ces termes :

    « Quel dommage, messire philosophe, que tu n’aies pas connu Mikita. C’était un homme rare : il connaissait chaque chien comme s’il l’avait mis au monde. Notre piqueur d’à présent, Mikola, que tu vois là, assis à deux places de moi, ne lui vient pas à la cheville. Mikola connaît aussi son affaire, je ne dis pas non, mais en comparaison de Mikita, ce n’est qu’une mazette.

    – Tu racontes bien, y a pas à dire, tu racontes bien, fit Doroche avec un signe de tête approbateur.

    – Oui, reprit Spirid, il apercevait un lièvre en moins de temps qu’il n’en faut à un autre pour éternuer. Quand, des fois, il sifflait : « Tiens bon, Ravageur ! Tiens, Vole-au-vent », tout en lançant son cheval ventre à terre, on ne savait dire qui des deux devançait l’autre, le chien le piqueur, ou le piqueur le chien. Et il vous lichait une pinte d’eau-de-vie en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Oui, c’était un fameux piqueur. Seulement les derniers temps il n’avait plus d’yeux que pour notre demoiselle. Lui avait-elle jeté un charme ou s’en était-il entiché pour de bon, je n’en sais rien, en tout cas le gaillard se perdit complètement ; ce ne fut bientôt plus qu’une femmelette, qu’un… Fi, j’aime mieux ne pas dire ce qu’il devint, rapport à la décence.

    – Bien ! approuva Doroche.

    –– Dès que la demoiselle lui jetait un regard, la bride lui tombait des mains ; Ravageur, il l’appelait Sourcilleur ; il trébuchait, il faisait tout de travers. Voilà qu’une fois, notre demoiselle est allée le trouver à l’écurie, où il pansait un cheval : « Écoute, Mikita, qu’elle lui a dit, laisse-moi mettre sur toi mon petit pied. » Et lui, le sot, de répondre tout enchanté : « Non seulement ton pied, mais assieds-toi tout entière sur moi, si tu veux. » La demoiselle a levé son pied, et quand il a vu cette jambe si blanche, si ferme, le charme l’a rendu complètement stupide à ce qu’il nous a raconté plus tard. Le voilà qui courbe les épaules, saisit les deux pieds nus de la demoiselle et se met à galoper à travers champs comme un cheval. Il est revenu à demi mort, incapable de dire où ils avaient été ; il était devenu maigre comme un échalas, et un beau jour qu’on est entré à l’écurie, on n’a plus trouvé qu’un monceau de cendre à côté d’un seau vide : il avait brûlé, brûlé tout à fait, et de lui-même. Et un piqueur comme ça, on aurait fait le tour du monde avant de trouver son pareil ! »

    suite ...