• Vïï (24)

    Mais Doroche n’était nullement disposé à se taire. Il venait de faire une visite à la cave en compagnie du sommelier pour une affaire importante et, après s’être penché deux ou trois fois sur deux ou trois tonneaux, il en était sorti si guilleret qu’il ne pouvait plus retenir sa langue.

    « Que je me taise ? s’écria-t-il. Mais elle m’a chevauché, moi qui te parle. Oui, parfaitement, je le jure devant Dieu.

    – Dis-moi, mon oncle, dit le jeune berger aux boutons, y a-t-il moyen de reconnaître les sorciers à un signe quelconque ?

    – Non, répondit Doroche, pas moyen. Tu auras beau lire tous les psautiers les uns après les autres, jamais tu n’y arriveras.

    – Dis pas ça, Doroche, repartit l’infatigable consolateur. Rien de plus facile au contraire. C’est pas pour rien que le bon Dieu a donné à chacun une marque particulière ; les gens de science disent que toute sorcière a une petite queue.

    – Toute vieille femme est une sorcière, décréta flegmatiquement un Cosaque à cheveux gris.

    – Vous en faites de jolis cocos, vous autres, protesta la commère qui remplissait le pot de rissoles fraîches. Espèce de gros verrats que vous êtes. »

    En voyant que ses paroles avaient piqué la bonne femme au vif, le vieux Cosaque, dont le nom était Iavtoukh et le sobriquet La Plique, laissa errer sur ses lèvres un sourire de satisfaction ; de son côté le bouvier éclata d’un rire si gras qu’on aurait dit que deux de ses bœufs, arrêtés nez à nez, s’étaient mis à mugir à la fois.

    Cependant la curiosité de notre philosophe était en éveil ; il brûlait de connaître dans toutes ses particularités la vie de la défunte. Aussi, désireux de ramener l’entretien sur ce sujet palpitant :

    « Je voudrais bien savoir, demanda-t-il à son voisin, pourquoi l’honorable société ici présente tient la demoiselle pour une sorcière ? Aurait-elle jeté des sorts aux gens ou peut-être même fait périr quelqu’un par des maléfices ?

    – Y a eu de tout cela, répondit un des convives, dont le visage glabre et plat avait toute l’apparence d’une pelle.

    – Qui ne se souvient du piqueur Mikita ou bien de…

    – Le piqueur Mikita ? interrompit le philosophe. Qui était-ce ?

    – Minute, s’écria Doroche. Je vas te raconter l’histoire du piqueur Mikita.

    – Non, dit le gardeur de chevaux, c’est moi qui la raconterai, son histoire. Mikita était mon compère, n’est-ce pas ? Alors…

    – Non, dit à son tour Spirid, c’est moi qui vas la raconter.

    – Oui, oui, que Spirid la raconte ! » s’écrie toute la troupe.

    suite ...