• Un mur de pierre ...

    Ils traversèrent les restes d'un verger et longèrent un mur de pierre. Dans leurs rangées régulières les arbres tortus et noirs et pas terre un dense caillebotis de branches tombées. Il s'arrêta pour regarder de l'autre côté des champs. Du vent à l'est. La cendre mille se déplaçant dans les sillons. S'arrêtant. Repartant. Il avait vu tout cela avant. Dans les chaumes des formes de sang séché et des rouleaux gris de viscères là où les suppliciés avaient été parés sur place et emmenés. Le mur un peu plus loin arborait une frise de têtes humaines, toutes avec le même visage, desséchées et aplaties, avec leurs sourires crispés et leurs yeux rétrécis. Elles portaient des anneaux d'or à leurs oreilles de cuir et leurs cheveux clairsemés et infects se tordaient au vent sur leur crânes. Les dents dans leurs alvéoles comme des moulages dentaires, les tatouages grossiers gravés à l'aide d'on ne sait quelle décoction artisanale et presque effacés à la lueur indigente du soleil. Des araignées, des sabres, des cibles. Un dragon. Des slogans en caractères runiques, des professions de foi avec des fautes d'orthographe. D'anciennes cicatrices ornées d'anciens motifs cousus le long des bords. Des têtes qui n'avaient pas perdu leur forme sous les coups de gourdin avaient été dépouillées de leur peau et les crânes avaient été peints et portaient une signature griffonnée d'un côté à l'autre du front et sur un crâne d'os blancs les sutures entre les plaques avaient été soigneusement marquées à l'encre comme sur un calque en vue d'un assemblage. Il se retourna sur le petit. Debout en plein vent à côté du caddie. Il regarda l'herbe sèche là où elle bougeait et les rangées d'arbres sombres et tortus. Quelques lambeaux de vêtements soufflés contre le mur, toute chose grise dans la cendre. Il longea le mur devant les masques pour une dernière inspection et passa un tourniquet et rejoignit le petit qui attendait. Il le pris par l'épaules. Ça va, dit-il. Allons-nous-en. 

    Il avait fini par voir un message dans de pareil épisodes de l'histoire récente, un message et un avertissement, et ce tableau des suppliciés et des dévorés en était effectivement un. Au matin il se réveilla et se tourna dans la couverture et regarda derrière lui la route entre les arbres du côté d'où ils étaient venus, juste à temps pour les voir apparaître, marchant quatre de front. Habillés e vêtements de toutes sortes, tous avec des foulards rouges à leurs cous. Rouges ou orange, aussi proches du rouge qu'ils avaient pu trouver. Il posa la main sur la tête du petit. Chut, dit-il.

    Qu'est-ce qu'il y a, Papa?
    Des gens sur la route. Garde la tête baissée. Ne regarde pas.
    Aucune fumée émanant de leur feu mort. Rien du caddie qui fût visible. Il se plaquait au sol et ainsi allongé guettait par-dessus son bras. Une armée en baskets, tapant du pied. Portant des tronçons de tuyau d'un mètre de long garnis de cuir. Des lanières au poignets. Quelques-uns des tuyaux étaient entourés de chaînes avec toutes sortes de casse-tête fixés à leur extrémité. Ils défilaient dans un cliquetis de métal, marchant d'une démarche pendulaire comme des jouets mécaniques. Barbus, l'haleine fumante à travers leurs masques. Chut, dit-il. Chut. La phalange suivante portait des lances ou des javelots empanachés, les longues lames façonnées avec des ressorts de camion dans quelque forge primitive d'une campagne perdue. Le petit était allongé, le visage dans ses bras terrifié. Ils passaient à une cinquantaine de mètres à peine, tapant du pied, le sol en tremblait presque. Derrière eux venaient des chariots tirés par des esclaves dans des harnais et chargés de piles de butin de guerre et après cela les femmes, au nombre d'une douzaine peut-être, quelques-une enceintes, et enfin une compagnie supplémentaire de mignons mal vêtus contre le froid et portant des colliers de chien et attelés deux par deux à un joug. Tous passèrent. Ils restaient allongés tous deux, l'oreille tendue.
    Ils sont partis, Papa?
    Oui, ils sont partis.
    Tu les as vus?
    Oui.
    C'étaient les méchants?
    Oui, c'étaient les méchants.
    Il y en a beaucoup , des méchants.
    Oui, beaucoup. Mais ils sont partis
    Ils s'étaient relevés et s'époussetaient, écoutant le silence au loin.

    "La route" Cormac McCarthy, écrivain américain, né en 1933 à Providence (Rhode Island).
    Son oeuvre est considérée aujourd'hui comme l'une des plus marquantes de la littérature américaine contemporaine.
    "Héritier de la Bible et de Shakespeare, de Hawthorne et de Faulkner, archaïque, lyrique rt visionnaire, sensible à la beauté du monde, McCarthy est hanté par la violence des hommes et la question du Mal"

    Résumé du livre : L'apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres. Un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites et de vieilles couvertures. Ils sont sur leur gardes car le danger peut surgir à tout moment. Ils affrontent la pluie, la neige, le froid. Et ce qui reste d'une humanité retournée à la barbarie. Cormac McCarthy raconte leur odyssée dans ce récit dépouillé à extrême.

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