• Septembre 1959

     

    3 septembre.

    Le temps a passé très vite. J'ai fait en sorte qu'il passe très vite.Essai de Picon. Si j'avais une table plus confortable, je travaillerais plus (mais si je vais à Paris). Je ne veux pas consigner mon état mental.J'ai feuilleté les œuvres d'Artaud et je me suis retenue de crier: il y décrit des choses que je ressens - très profondément: ce silence menaçant, cette sensation d'inexistence, le vide intérieur, la lutte pour transmuer en langage ce qui n'est qu' absence ou cri -; il parle aussi de ses phases de bégaiement: la langue dure, l'asphyxie. J'ai aussi feuilleté un essai de Jung. Et j'ai eu peur d'être folle. Ou plutôt, un sentiment de désillusion m'a traversée. En effet, si je suis folle, pourquoi est-ce que je me plie aux conventions? Pourquoi ne suis-je pas plongée dans une sorte d'inconscience, de frénésie, de délire? Et si je ne suis pas folle, pourquoi ce silence en moi, cette tension parfois interrompue par l'angoisse, pourquoi l'anxiété et les pleurs? J'envie profondément Virginia Woolf. L'esprit humain est un mystère.


    Dimanche 6 septembre

    Katherine Mansfield et V. Woolf. Vitalement, ou mortellement, je me sens plus proche de la première. Vu ma situation et mon éducation, je crois que je ne comprendrai jamais la vie d'une aristocrate anglaise. Pour tant, j'ai eu l'occasion de constater que mes poèmes touchent plus profondément les personnes appartenant, disons, aux classes supérieures que les autres. En fait, en tant que juive, j'ai l'impression de n'appartenir à aucune classe. Et je ne comprendrai jamais quelqu'un qui méprise mes origines. Ça va même  au-delà: je croisque j'en suis fière (c'est sans doute lié à certaines imagesde l'enfance). J'ai pensé que je pourrais me mettre à écrire entre 10h et13 h (aujourd'hui, je me suis levée à 10 h 30). Si seulement j'étais un peu moins orale. Si j'avais un peu moins de complexes oraux. Impossible de passerune heure sans une cigarette, sans me ronger les ongles ou porter des aliments à la bouche. Je fume de plus en plus. Aveuglément. Hier, Susana1 est passée. On a écrit ensemble un obscur article2 sur un poème deEstrella Gutiérrez3• On s'est bien amusées. Mais je n'arrivais pas à la regarder dans les yeux. On aurait dit deux petites filles en train de jouer.

     

    Alejandra Pizarnik

     

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