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    La maison est un des archétypes des plus primitifs qui, au cours des temps, a été le plus travaillé par l’imagination collective. Au fond de nos mémoires veille la maison primordiale dont nous gardons la nostalgie. Cette maison originelle n’est faite ni de bois ni de pierres, mais elle est une «maison totale», fondée au-dedans de nous comme une réalité vivante et pathétique, faisant intimement partie de notre être. *

         Jean Onimus

    Étrange, le pouvoir de séduction que la maison exerce sur les humains! Image primitive dessinée au fond de leur être, elle correspond à un besoin irrésistible d’être chez soi. Aire de retrait et de repos, elle est une figure idéale de proximité avec les êtres et les choses. Elle est le lieu symbolique de la sociabilité et de la communication intime. Il n’est donc pas étonnant que, parmi les humains, on compte des rêveurs de maisons, qui se transportent dans une quantité de demeures et d’existences possibles. Ils s’interrogent sur le style des innombrables vies dont ils voudraient s’approcher, mais dont ils ne sauront jamais rien. Une manière de frustration les saisit alors, car ils ne pourront pas habiter toutes les maisons qui s’offrent à leur regard, comme ils ne peuvent pas non plus embrasser toutes les existences. À l’instar du visage humain, la façade des maisons est un masque qui révèle autant qu’il voile l’intimité domestique. Une maison est une forme de séparation avec la nature et le monde. Elle protège ses habitants de l’envahissement du dehors, car trop de visibilité et trop d’accessibilité les rendraient vulnérables.
    [...]Et pourtant, l’homme semble avoir vécu des centaines de milliers d’années sans maison. Des cavernes ou des rochers lui servaient d’habitat provisoire, car il fallait se déplacer au fil des saisons. La maison fut une invention des temps néolithiques. Son avènement au Proche-Orient, il y a quelque neuf mille ans, coïncida avec les débuts de la vie sédentaire et de l’agriculture, de l’élevage et de l’artisanat. Il a fallu attendre encore quatre mille autres ans pour que la maison gagne l’Occident. Depuis, elle occupe une place primordiale dans l’imaginaire collectif.
    La maison sert de métaphore pour le corps qui abrite l’âme. On doit apprendre à habiter son corps. Le détruire, c’est comme démolir un temple sacré. «Détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai.» Jésus défia de s’attaquer à son corps, dont il annonça la résurrection. La maison est un refuge destiné à protéger la fragilité de notre être mortel. La mort elle-même est comme un séjour dans des lieux inconnus au ciel ou sous la terre, selon les cultures. Bâtir une maison solide, c’est la rendre immortelle et traduit le désir d’immortalité qui anime les humains. La maison est une métaphore de la langue, construite par les ancêtres, dans laquelle on entre dès la naissance, qui évolue au cours des siècles et qui se restaure ou se rénove. Le positiviste Auguste Comte n’hésite pas à recourir à la métaphore de la maison pour parler de la science. D’après lui, la meilleure œuvre des encyclopédistes fut de renverser l’édifice que le clergé avait mis des siècles à construire et d’édifier le bâtiment nouveau qui n’est nul autre que la science.
    La maison est aussi une métaphore de l’éthique dans laquelle on entre à la naissance, de la même manière qu’on entre dans une langue. Demeure habitée et restaurée, ouverte à des transformations et toujours réformable, l’éthique nous apprend à séjourner dans les limites de notre finitude, à rendre la terre habitable, à cohabiter avec les êtres et les choses. Elle nous apprend à protéger le faible, à loger l’exclu, à héberger l’étranger, à explorer des terres inconnues et à accueillir la nouveauté, en un mot à rencontrer l’imprévisible altérité. Ce sont précisément les multiples aspects de l’association de la maison et de l’éthique qui constituent la trame des réflexions consignées dans les pages qui suivent.

    "La maison de l'éthique" Eric Volant

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