• PROPAGANDE DE PAIX

     

    La propagande de paix est le complément nécessaire de la politique de paix : car la politique pacifiste est court-termiste — la propagande pacifiste est long-termiste.

    La propagande de paix seule est incapable d’empêcher la guerre imminente, dans la mesure où elle a besoin d’au moins deux générations pour devenir effective ; la politique de paix seule est incapable d’assurer la paix durable, dans la mesure où, à côté du développement rapide de notre époque, le rayon d’action de la politique atteint difficilement deux générations.

    Dans le meilleur des cas, la politique de paix peut créer, au moyen d’une grande adresse, une paix provisoire , au sein de laquelle offrir à la propagande de paix la possibilité de désarmer moralement les peuples et de les convaincre du fait que la guerre soit un moyen barbare, non pratique et vieilli de régler les différends internationaux.

    En effet, tant que ce constat ne se sera pas imposé internationalement, et tant qu’il y aura des peuples pour voir la guerre comme étant le moyen le plus approprié pour imposer leurs buts politiques, la paix ne pourra pas s’appuyer sur le désarmement, mais seulement sur la supériorité militaire des pacifistes.

    Le désarmement total ne sera possible qu’après la victoire de la pensée pacifique — tout comme l’abolition de la police ne serait possible qu’après la disparition de la criminalité : sinon, l’abolition de la police mène à la dictature du crime — l’abolition de l’armée à la dictature de la guerre.

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    La propagande pacifiste se dirige contre les instincts de guerre , les intérêts de guerre et les idéaux de guerre.

    Le combat contre les instincts de guerre doit être mené à travers leur affaiblissement, leur détournement ainsi qu’à travers le renforcement des instincts opposés.

    Il s’agit avant tout de déshabituer les peuples de la guerre , et de laisser ainsi mourir leurs instincts de guerre, tout comme les fumeurs, les buveurs, et les morphinomanes abandonnent leurs penchants en ne s’y adonnant plus. Le moyen pour se déshabituer de la guerre est la politique de paix.

    Le sport est très approprié pour détourner de l’attitude guerrière les instincts de combat humains, et plus particulièrement masculins. Ce n’est pas un hasard si les peuples européens les plus sportifs (les Anglais, les Scandinaves) sont en même temps aussi les plus pacifiques.

    Seule la chasse constitue ici une exception : elle conserve la plus primitive des formes de combat et renforce les instincts de meurtre, au lieu de les dévier. Le fait que dans beaucoup de pays européens la chasse ait été le sport principal des castes et des hommes dominants a beaucoup contribué au maintien du militarisme européen : car la chasse éduque facilement à l’irrespect de la vie étrangère et insensibilise vis-à-vis des effusions de sang.

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    La condamnation de la guerre ne doit jamais dégénérer en une condamnation du combat. Un tel déraillement du pacifisme ne ferait que jouer le jeu des contre-arguments percutants des militaristes, et compromettre éthiquement et biologiquement le pacifisme.

    En effet le combat et la volonté de combat sont les créateurs et les mainteneurs de la culture humaine. La fin du  combat et la mort de l’instinct de combat humain seraient synonymes de fin et de mort de la culture et de l’humain.

    Le combat est bon ; seule la guerre est mauvaise , car elle est une forme primitive, grossière et vieillie du combat international — tout comme le duel est une forme primitive, grossière et vieillie du combat sociétal.

    À partir de là, le but du pacifisme n’est pas l’abolition du combat, mais plutôt l’affinement, la sublimation et la modernisation de ses méthodes.

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    À ce jour, la forme du combat économique est sur le point de prendre le relais de la forme du combat militaire : les boycotts et les blocus se substituent aux guerres, la grève politique se substitue à la révolution. La Chine a gagné plusieurs batailles politiques contre le Japon grâce à l’arme du boycott et Gandhi cherche, au moyen de ces méthodes non sanglantes, à mener à bien le combat de libération indien.

    Un temps viendra où les rivalités nationales seront réglées avec des armes spirituelles plutôt qu’avec des couteaux et des billes de plomb. Plutôt que de se défier dans une course à l’armement, les peuples se défieront alors mutuellement dans une compétition en termes de performances scientifiques, artistiques et techniques, en termes de justice et d’assistance sociale, en termes de santé publique et d’éducation publique et en termes de promotion de grandes personnalités.

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    Le combat contre les intérêts de guerre forme la seconde tâche de la propagande de paix.

    Cette propagande consiste à amener la preuve, aux peuples et aux individus, des chances réduites de gain et des énormes risques de perte, avec pour résultat le fait que la guerre soit présentement devenue un business mauvais, risqué et non rentable.

    En ce qui concerne les peuples, Norman Angell  a déjà apporté cette preuve avant la guerre, et la Guerre mondiale a brillamment confirmé sa thèse.

    La question de savoir si, d’un point de vue national, une guerre de libération indienne victorieuse, ou une conquête de l’Australie par les Mongols, compenseraient les sacrifices, peut rester ici non débattue : ce qu’il y a de certain cependant, c’est que d’une nouvelle guerre européenne le vainqueur ressortirait lourdement ruiné, d’un point de vue politique, économique et national, tandis que le peuple vaincu serait anéanti pour toujours. Le gain potentiel est absolument sans commune mesure avec les pertes certaines.

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    Ne sont personnellement intéressés aux guerres que, d’un côté les politiciens et les militaires ambitieux qui en espèrent la gloire — et de

     « La grande illusion » de Norman Angell.

    l’autre les fournisseurs de guerre qui en espèrent du business. Ces groupes sont très petits, mais très puissants.

    Le premier groupe peut être, dans les États démocratiques, neutralisé par un pacifisme décidé : les politiciens qui placent leur ambition au- dessus du bien-être de leur peuple doivent être traités comme des criminels.

    Les officiers prétendent souvent que leur attitude guerrière est un devoir professionnel . Dans les États dont la politique est pacifiste, ce serait une lourde erreur ; car dans ce cas l’armée ne vaut pas en tant que moyen de conquête, mais en tant qu’arme nécessaire contre les volontés guerrières étrangères. Il serait donc nécessaire que les officiers soient directement éduqués comme des pacifistes , mais des pacifistes héroïques , en chaque instant prêts à risquer leur vie pour le maintien de la paix et à se sentir comme des chevaliers croisés en combat contre la guerre.

    Les industriels qui souhaitent ardemment la guerre à cause des profits de guerre doivent être renvoyés au fait qu’à l’issue de la prochaine guerre européenne se trouvera vraisemblablement le bolchevisme. Ce qui les attend donc avec une probabilité supérieure à 50% à la fin de la guerre, c’est l’expropriation, si ce n’est le gibet.

    Vu sous cet angle, le business de guerre perd de son attrait. En effet il paraît quand même plus avantageux pour l’industrie de se contenter de profits de paix relativement minces mais sans danger, plutôt que de courir après des profits de guerres gras mais dangereux pour la vie.

    Cette argumentation est importante parce qu’elle retire à la propagande de guerre son moteur doré, et conduit à la propagande de paix.

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    La propagande de paix doit aussi mobiliser Ximagination humaine contre la guerre du futur. Elle doit éclairer les masses sur les dangers et les horreurs qui les menacent en cas de guerre : sur les nouveaux rayons et gaz qui peuvent assassiner des villes entières ; sur la menace d’une guerre d’extermination qui serait moins dirigée contre le front que contre l’intérieur du pays ; sur les conséquences politiques et économiques qu’entraînerait une telle guerre pour les vainqueurs et les vaincus.

    Cette propagande doit aider les faibles souvenirs humains et la faible imagination humaine : car si les humains avaient plus d’imagination — il n’y aurait alors plus de guerre. La volonté de vivre serait l’alliée la plus forte du pacifisme.

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    Les instincts de guerre sont grossiers et primitifs — les intérêts de guerre problématiques et dangereux — les idéaux de guerre mensongers et vieillis.

    Ils vivent de la falsification qui identifie la guerre au combat, les guerriers aux héros, l’absence d’imagination à la bravoure, la crainte à la lâcheté.

    Ils datent d’une époque disparue, de situations surmontées. Ils ont jadis été forgés par une caste guerrière , et ont été repris aveuglément  par les peuples libres.

    Jadis, le guerrier était le gardien de la culture, le héros de guerre un héros en soi, et la guerre l’élément vital des peuples, dont le destin se décidait à travers leur bravoure au champ de bataille.

    Depuis lors, la guerre est devenue non chevaleresque, ses méthodes odieuses, ses formes laides  ; la bravoure personnelle n’est plus décisive : à la beauté chevaleresque d’un tournoi de masse s’est substituée la misérable laideur d’un abattoir de masse. La guerre mécanisée d’aujourd’hui a pour toujours perdu son romantisme d’antan.

    Du point de vue éthique, la guerre défensive est une défense d’urgence organisée — la guerre d’attaque un meurtre organisé. Plus grave encore : des humains pacifiques sont violemment contraints d’empoisonner et de déchiqueter  d’autres humains pacifiques.

    La responsabilité de ces meurtres de masse suscités ne revient pas aux perpétrateurs, mais aux incitateurs. Dans les États démocratiques, ces incitateurs sont directement les députés bellicistes, et indirectement leurs électeurs.

    Quiconque s’effraie de commettre un meurtre doit bien réfléchir à qui il envoie au parlement en tant qu’homme de confiance !

     

     

     

     

     

     

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