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  • Ils cassent le monde
    En petits morceaux
    Ils cassent le monde
    A coups de marteau
    Mais ça m’est égal
    Ça m’est bien égal
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez
    Il suffit que j’aime
    Une plume bleue
    Un chemin de sable
    Un oiseau peureux
    Il suffit que j’aime
    Un brin d’herbe mince
    Une goutte de rosée
    Un grillon de bois
    Ils peuvent casser le monde
    En petits morceaux
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez
    J’aurais toujours un peu d’air
    Un petit filet de vie
    Dans l’oeil un peu de lumière
    Et le vent dans les orties
    Et même, et même
    S’ils me mettent en prison
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez
    Il suffit que j’aime
    Cette pierre corrodée
    Ces crochets de fer
    Où s’attarde un peu de sang
    Je l’aime, je l’aime
    La planche usée de mon lit
    La paillasse et le châlit
    La poussière de soleil
    J’aime le judas qui s’ouvre
    Les hommes qui sont entrés
    Qui s’avancent, qui m’emmènent
    Retrouver la vie du monde
    Et retrouver la couleur
    J’aime ces deux longs montants
    Ce couteau triangulaire
    Ces messieurs vêtus de noir
    C’est ma fête et je suis fier
    Je l’aime, je l’aime
    Ce panier rempli de son
    Où je vais poser ma tête
    Oh, je l’aime pour de bon
    Il suffit que j’aime
    Un petit brin d’herbe bleue
    Une goutte de rosée
    Un amour d’oiseau peureux
    Ils cassent le monde
    Avec leurs marteaux pesants
    Il en reste assez pour moi
    Il en reste assez, mon cœur

     

    Boris Vian

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  •  

    Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses,
    Ô toi, tous mes plaisirs ! ô toi, tous mes devoirs !
    Tu te rappelleras la beauté des caresses,
    La douceur du foyer et le charme des soirs,
    Mère des souvenirs, maîtresse des maîtresses !

    Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon,
    Et les soirs au balcon, voilés de vapeurs roses.
    Que ton sein m'était doux ! que ton cœur m'était bon !
    Nous avons dit souvent d'impérissables choses
    Les soirs illuminés par l'ardeur du charbon.

    Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !
    Que l'espace est profond ! que le cœur est puissant !
    En me penchant vers toi, reine des adorées,
    Je croyais respirer le parfum de ton sang.
    Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées !

    La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison,
    Et mes yeux dans le noir devinaient tes prunelles,
    Et je buvais ton souffle, ô douceur ! ô poison !
    Et tes pieds s'endormaient dans mes mains fraternelles.
    La nuit s'épaississait ainsi qu'une cloison.

    Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses,
    Et revis mon passé blotti dans tes genoux.
    Car à quoi bon chercher tes beautés langoureuses
    Ailleurs qu'en ton cher corps et qu'en ton cœur si doux ?
    Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses !

    Ces serments, ces parfums, ces baisers infinis,
    Renaîtront-ils d'un gouffre interdit à nos sondes,
    Comme montent au ciel les soleils rajeunis
    Après s'être lavés au fond des mers profondes ?
    - Ô serments ! ô parfums ! ô baisers infinis !

    Charles Baudelaire - Les Fleurs du mal - Spleen et idéal

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    Ève offrait au ciel bleu la sainte nudité ;
    Ève blonde admirait l'aube, sa soeur vermeille.

    Chair de la femme ! argile idéale ! ô merveille !
    Pénétration sublime de l'esprit
    Dans le limon que l'Être ineffable pétrit !
    Matière où l'âme brille à travers son suaire !
    Boue où l'on voit les doigts du divin statuaire !
    Fange auguste appelant le baiser et le coeur,
    Si sainte, qu'on ne sait, tant l'amour est vainqueur,
    Tant l'âme est vers ce lit mystérieux poussée,
    Si cette volupté n'est pas une pensée,
    Et qu'on ne peut, à l'heure où les sens sont en feu,
    Étreindre la beauté sans croire embrasser Dieu !
    Ève laissait errer ses yeux sur la nature.

    Et, sous les verts palmiers à la haute stature,
    Autour d'Ève, au-dessus de sa tête, l'oeillet
    Semblait songer, le bleu lotus se recueillait,
    Le frais myosotis se souvenait ; les roses
    Cherchaient ses pieds avec leurs lèvres demi-closes ;
    Un souffle fraternel sortait du lys vermeil ;
    Comme si ce doux être eût été leur pareil,
    Comme si de ces fleurs, ayant toutes une âme,
    La plus belle s'était épanouie en femme.

     

    Victor HUGO 1802 - 1885 *

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  • Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
    Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
    Est fait pour inspirer au poète un amour
    Éternel et muet ainsi que la matière.

    Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
    J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ;
    Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
    Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

    Les poètes, devant mes grandes attitudes,
    Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
    Consumeront leurs jours en d'austères études ;

    Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
    De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
    Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

     

    Charles BAUDELAIRE 1821 - 1867 *

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