• Merveilleux souvenir ...

    Merveilleux souvenir de son arrivée à la crêperie de Locronan - la glissade blanche de son imperméable dans l'ombre de l'entrée, le foulard vert autour de ses cheveux blonds. Son arrivée à Brest, en même temps que notre bateau - et tandis qu'elle descendait de l'auto, une Océanne noir, nous montions sur le quai par la petite planche de bois du bateau d'Ouessant. Et surtout le dernier déjeuner, seul avec elle dans une crêperie de Briec, une heure avant mon départ. Elle avait gardé un petit chapeau rond en tissu imperméable écossais, pareil à tous ceux que portaient les Anglaises en voyage de noces, avant guerre. Il me semble que l'héroïne de Brève rencontre portait un chapeau de ce genre. Elle n'avait pas l'air triste; elle ne semblait pas préoccupée de la solitude qui l'attendait, où notre départ la replongerait, de ces longues journées sans surprise qu'elle allait de nouveau traverser, dans le port de Douarnenez, désolé par l'hiver, auprès d'un père mourant. Elle profitait de ses dernières minutes de bonheur avec le même détachement, la même douceur discrète qu'elle mettait à étouffer sa tristesse; ce détachement, cette discrétion, cette douceur avec laquelle elle nous avait offert des chocolats, des cigares, et le dernier jour du scotch pour le voyage, sans jamais oser nous tendre les cadeaux qu'elle nous apportait, les gardant sur ses genoux, enveloppés dans ces papiers de couleur de Noël, ou les posant sur une table et n'en parlant pas, ne les regardant pas, jusqu'à ce que Jean-Edern ou moi lui demandions ce qu'il y avait dedans, à qui elle des destinait. Alors, négligemment, avec un sourire distrait, elle trouvait une excuse pour nous les donner: "Mon frère a rapporté des cigares de La Havane." - "Il vous faut un peu de whisky pour le voyage; j'en ai trouvé par hasard." On aurait dit qu'elle évitait de prendre la responsabilité des cadeaux qu'elle nous offrait, des services qu'elle nous rendait, moins par modestie que par oubli de soi. Elle a la gaucherie, la timidité des candides; la foule l'effraie; peu à l'aise dans son corps, elle bute souvent contre des obstacles, une pierre ou une marche, et retrouve un équilibre contracté, précaire, avec la grâce maladroite d'un jeune chevreau. Elle est de ces êtres que l'on a envie d'aimer, simplement pour les rendre heureux.

    Journal, samedi 2 janvier 1960 -  Jean-René Huguenin *

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