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    « Mais vois-tu, les gens qui ont une opinion politique sont les moins à plaindre. Ils s'indignent contre le parti dont ils ne sont pas. Moi, je m'indigne contre tous les hommes. Ils ont un espoir, un devoir, un voeu dans le conflit, moi je n'ai que la douleur. Chaque balle qui siffle à leurs oreilles leur enlève peut-être un ennemi et pour ces gens-là un ennemi n'est pas un homme. Pour toi et pour moi, un soldat, un étudiant, un ouvrier, un garde national, un gendarme même représentent quelque chose qui vit, qui doit vivre, qui a des sympathies ou des besoins en commun avec nous. Pour les hommes de parti il n'y a que des assassins et des victimes. Ils ne comprennent pas qu'eux tous sont victimes et assassins tour à tour ».

    George Sand, extrait de Lettres d'une vie par Thierry Bodin

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    «C'est si discret, un livre ! C'est muet, cela dort dans un coin ; cela ne court pas après vous. C'est autrement modeste que la musique qu'il faut entendre, bonne ou mauvaise, et même que le tableau, qui flambe ou qui grimace sur la muraille. - Vous voulez absolument le lire ? Donc, vous voulez aller à Carthage... Eh bien ! vous y voilà. Vous ne vous y plaisez guère ? Je le comprends. Vous avez peur, dégoût, vertige, indignation ? Donc, le voyage a été fait. Le narrateur n'a pas menti, et si les cheveux vous dressent à la tête, c'est qu'il est à la hauteur de son sujet, c'est qu'il est de force à vous dépeindre vigoureusement ce qu'il a vu.
    Mais vous avez le coeur sucré, comme disent nos paysans d'ici. Il vous fallait du bonbon et on vous a donné du piment. Vous pouviez rester à votre ordinaire : que diable alliez-vous faire à Carthage ?
    J'ai voulu y aller, moi, je ne me plains de rien. Je me suis embarquée depuis ma petite serre chaude dans le cerveau de l'auteur. C'est aussi facile que d'aller dans la lune avec le ballon de la fantaisie ; mais, en raison de cette grande facilité et de cette certitude d'arriver en un clin d'oeil, je ne me suis pas mise en route sans faire mes réflexions et sans me préparer à de grands étonnements, à de grandes émotions peut-être. J'en ai eu pour mon argent, comme on dit, et maintenant, je pense comme tous ceux qui descendent les hautes cimes : je me dis que je ne voudrais pas retourner y finir mes jours, mais je suis fort aise d'y avoir été... »

    George Sand, janvier 1863, extrait de la correspondance avec Gustave Flaubert.

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    Voilà déjà bien longtemps, madame Milena, que je ne vous ai plus écrit, et aujourd’hui encore je ne le fais que par suite d’un hasard. Je ne devrais pas au fond excuser mon silence, vous savez comme je hais les lettres. (…)
    C’est un commerce avec des fantômes, non seulement avec celui du destinataire, mais encore avec le sien propre ; le fantôme croît sous la main qui écrit, dans la lettre qu’elle rédige, à plus forte raison dans une suite de lettres où l’une corrobore l’autre et peut appeler à témoin. Comment a pu naître l’idée que des lettres donneraient aux hommes le moyen de communiquer ? ( …)
    Ecrire des lettres c’est se mettre à nu devant des fantômes ; ils attendent ce geste avidement. Les baisers écrits ne parviennent pas à destination, les fantômes les boivent en route. » « La sorcellerie épistolaire se remet en branle et recommence à ravager mes nuits, qui se ravagent déjà d’elles-mêmes. Il faut que je cesse, je ne peux plus écrire. Votre insomnie n’est pas la même que la mienne. Ne m’écrivez plus, s’il vous plait ». Et la dernière : « Là-dessus, malgré ce qui précède, mes amitiés. Qu’importe si elles sont destinées à tomber dès la porte de votre jardin ? Peut-être.

    Frantz Kafka

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    "Chère Madame,
    Votre lettre m'a fait du bien, car je suis dans un état moral vraiment triste. Plus la mort du pauvre Flaubert s'éloigne, plus son souvenir me hante, plus je me sens le cœur endolori et l'esprit isolé. Son image est sans cesse devant moi, je le vois debout, dans sa grande robe de chambre brune qui s'élargissait quand il levait les bras en parlant. Tous ses gestes me reviennent, toutes ses intonations me poursuivent, et des phrases qu'il avait coutume de dire sont dans mon oreille comme s'il les prononçait encore. C'est le commencement des dures séparations, de ce dépècement de notre existence, où disparaissent l'une après l'autre toutes les personnes que nous aimions, en qui étaient nos souvenirs, avec qui nous pouvions causer le mieux des choses intimes.
    Ces coups-là nous meurtrissent l'esprit et y laissent une souffrance continue qui demeure en toutes nos pensées.
    (...)
    Je sens en ce moment d'une façon aiguë l'inutilité de vivre, la stérilité de tout effort, la hideuse monotonie des événements et des choses et cet isolement moral dans lequel nous vivons tous, mais dont je souffrais moins quand je pouvais causer avec lui ; car il avait, comme personne, ce sens des philosophies qui ouvre sur tout des horizons, vous tient l'esprit aux grandes hauteurs d'où l'on contemple l'humanité entière, d'où l'on comprend l'« éternelle misère de tout ».
    Voilà, madame, des choses tristes, mais les choses tristes valent mieux, lorsqu'on a le cœur affligé, que les choses indifférentes.
    "Chère Madame,
    Votre lettre m'a fait du bien, car je suis dans un état moral vraiment triste. Plus la mort du pauvre Flaubert s'éloigne, plus son souvenir me hante, plus je me sens le cœur endolori et l'esprit isolé. Son image est sans cesse devant moi, je le vois debout, dans sa grande robe de chambre brune qui s'élargissait quand il levait les bras en parlant. Tous ses gestes me reviennent, toutes ses intonations me poursuivent, et des phrases qu'il avait coutume de dire sont dans mon oreille comme s'il les prononçait encore. C'est le commencement des dures séparations, de ce dépècement de notre existence, où disparaissent l'une après l'autre toutes les personnes que nous aimions, en qui étaient nos souvenirs, avec qui nous pouvions causer le mieux des choses intimes.
    Ces coups-là nous meurtrissent l'esprit et y laissent une souffrance continue qui demeure en toutes nos pensées.
    (...)
    Je sens en ce moment d'une façon aiguë l'inutilité de vivre, la stérilité de tout effort, la hideuse monotonie des événements et des choses et cet isolement moral dans lequel nous vivons tous, mais dont je souffrais moins quand je pouvais causer avec lui ; car il avait, comme personne, ce sens des philosophies qui ouvre sur tout des horizons, vous tient l'esprit aux grandes hauteurs d'où l'on contemple l'humanité entière, d'où l'on comprend l'« éternelle misère de tout ».
    Voilà, madame, des choses tristes, mais les choses tristes valent mieux, lorsqu'on a le cœur affligé, que les choses indifférentes.

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    La vérité a toujours quelque chose de trivial qui déplaît aux esprits poétiques. Nous sommes d’ailleurs dans le pays, dans la terre classique de la poésie, on ne dit jamais les choses comme elles sont. Voit-on des cochons, ce sont des éléphants ; des oies, ce sont des princesses ; ainsi du reste. Je suis lasse et dégoûtée de tout cela ; aussi je ne lis plus les journaux. J’exècre l’esprit de commérage des coteries provinciales : c’est une guerre de menteries, un assaut d’absurdités qui fait mal au cœur, pour peu qu’on en ait. Je ne trouve en dehors de ma vie intime, rien qui mérite un sentiment d’intérêt véritable.
    De nos jours, l’enthousiasme est la vertu des dupes. Siècle de fer, d’égoïsme, de lâcheté et de fourberie, où il faut railler ou pleurer sous peine d’être imbécile ou misérable. Vous savez quel parti je prends. Je concentre mon existence aux objets de mes affections. Je m’en entoure comme d’un bataillon sacré qui fait peur aux idées noires et décourageantes. Absents ou présents, mes amis remplissent mon âme tout entière ; leur souvenir y apporte la joie, efface la pointe acérée des douleurs cuisantes, souvent répétées. Le lendemain ramène un rayon de soleil et d’espérance. (...).

    George SAND  (1830)

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