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    Le téléphone ne sonne pas. S'il sonne, je le décroche. Je le rebranche ensuite au cas où il sonnerait et où je voudrais répondre, mais je réponds rarement.

    L'arbre le plus à gauche, dans la fenêtre, a des feuilles si vertes qu'elles sont jaunes, de gros moineaux s'y agitent. je les aperçois à peine.

    L'église, la rue, le golfe de toits à gauche de l'église composent le fond d'une image : deux fenêtres, des arbres tièdes, un catalpa ? un arbre de Judée ?

    J'ai pris l'habitude de m'y étendre par le regard, assis sur une chaise. Sur la table j'ai posé les papiers, les livres, les lettres que je reçois et auxquelles je n'arrive pas à répondre.

    Le soir quand la lumière se concentre, et avance, en oblique, parfois portant du soleil, parfois pas, jusqu'à mes pieds. Je m'assieds sur cette même chaise, face à l'image.

    J'y reste jusqu'à la nuit.

    Pas pour regarder, j'ai déjà vu, pas pour attendre, quand rien ne viendra, juste par un geste, de continuité.

    A hauteur de mes yeux, à peu près, est le point d'où a été composée l'image, la photographie, où l'on voit, ce que je vois et viens, paresseusement, de décrire, que je ne regarde pour ainsi dire plus jamais, cette image est sur le mur face à moi.

    Je pourrais voir, sur le mur, distinctement cette image, je pourrais la voir, parfaitement dans la nuit même, mais je ne la regarde pas. cette image qui te contient.

     
    "Quelque chose noir"  Jacques Roubaud
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    Nos coeurs ne sont pas de pierre. Les pierres peuvent s'effondrer et se briser, perdre leur forme. Mais le coeur ne peut pas s'effondrer. Le coeur n'a pas de forme mais il peut se propager à l'infini. Pour le meilleur comme pour le pire, tous les enfants de Dieu savent danser.

     

    "Après le tremblement de terre"  Haruki Murakami *

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    Proverbe de femme - Proverbes sur la femme

    "La femme est la moitié de l'homme. L'homme et la femme seraient incomplets l'un sans l'autre. Chacun d'eux ne forme qu'une moitié de l'être humain, dont l'intégralité ne peut résulter que de leur intime union. C'est une vérité morale aussi vieille que le monde et universellement répandue. Elle remonte à notre premier père, s'écriant, dans la joie de son cœur, à la vue de l'aimable compagne que Dieu lui présentait : « voilà l'os de mes os, et la chair de ma chair. Elle s'appellera d'un nom qui marque l'homme, parce qu'elle a été prise de l'homme. — C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme; et ils seront deux dans une seule chair. » (Genèse) Cette dualité conjugale, ineffable félicité de l'Éden, a été fort bien figurée par de la théogonie indoue, et par d'autres symboles analogues qu'il ne me parait pas convenable d'expliquer ici, ni même de désigner nominativement. Le plus ingénieux de tous, sans contredit, et celui qu'on trouve dans banquet de Platon. Suivant ce philosophe, l'homme et la femme ne faisaient originairement qu'une même personne qu'il nomme androgyne (homme-femme). Cette créature bissexuelle était si parfaite et si heureuse, qu'elle excita la jalousie des dieux et des déesses. Par leur ordre, Apollon la divisa en deux corps, et Mercure arrangea dans ces corps les formes extérieures de leur individualité qui avaient été un peu endommagées pendant l'opération du dédoublement. Depuis lors, les moitiés disjointes ont une tendance invincible à se rapprocher pour reconstituer l'androgyne. On les voit partout y travailler de toute leur ardeur et de tous leurs efforts. Mais, hélas ! elles ne sauraient y parvenir, à moins d'un très-grand miracle. Tristes jouets d'une continuelle méprise, elles sont à peu près comme ces enfants, changés en nourrice, qui prennent une parenté de hasard à la place de la parenté de nature. Des moitiés étrangères viennent presque toujours se substituer à celles qui furent créées l'une pour l'autre. Le sort ennemi, afin d'empêcher ces dernières de se rejoindre, ne leur permet pas de se reconnaître, les fait errer comme ces ombres de Dante, qui vont sans jamais s'arrêter, et les tient souvent séparées par des distances incommensurables."

    Pierre-Marie Quitard 

     

     

     

     

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  • Lorsque je me couche sur ma droite et que je ferme les yeux pour m’endormir, j’ai peur de ma mort et je suis scandalisé. Je n’accepte pas de  perdre mes yeux qui étaient une partie de mon âme. Mon âme n’est pas un impalpable ectoplasme à gogos. Mon âme, c’est moi. Ce n’est pas de la philosophie, cette filandreuse toile d’araignée toute de tromperies, mais une grenue et indestructible petite vérité tout à fait vraie. Oui, tout ce que vous voudrez, dites tout ce que vous voudrez, mais ma petite vérité est bon teint. Mon âme, c’est mon corps et non un magique souffle. Or, je n’accepte pas de ne plus bouger, moi dont la main droite en cette minute studieusement bouge. Je n’accepte pas que moi qui suis ne soit plus, et bientôt plus. Quelle aventure que ce mobile que je suis soit bientôt immobile et de toute éternité.

     

    Albert Cohen, Carnets, 1978

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    Doit-on et peut-on composer un chant avec les manquements, les corrosions, les destructions, les vétustés, avec ce qui fut négligé, brisé ou abîmé ? Avec les entorses, les substitutions, les détails malheureux ou malencontreux ? Doit-on et peut-on composer un chant avec tous ces éléments disparates ?

     

     Peut-on chanter l’inachevé ? La fuite sans retour ? L’abandon du chantier ?

     

    Peut-on distinguer ce qui aurait dû être de ce qui est ? Voir la trame du projet initial à travers la réalisation finale ? Et doit-on regretter ce qui ne vit pas le jour ? Ce qui reste à l’état de maquette et de croquis ?

     

    La volonté défaite. L’incomplétude de l’œuvre. Le gouffre du temps long. La difficulté du ex nihilo. Le naufrage d’une telle entreprise dans la durée.

     

    Olivier Domerg , L’Atelier contemporain, 2018

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