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    "Personne n'a une vie facile. Le seul fait d'être vivant nous porte immédiatement au plus difficile. Les liens que nous nouons dès la naissance, dès la première brûlure de l'âme au feu du souffle, ces liens sont immédiatement difficiles, inextricables, déchirants. La vie n'est pas chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d'architecte. La vie n'est rien de prévisible ni d'arrangeant. Elle fond sur nous comme le fera plus tard la mort, elle est affaire de désir et le désir nous voue au déchirant et au contradictoire. Ton génie est de t'accommoder une fois pour toute de tes contradictions, de ne rien gaspiller de tes forces à réduire ce qui ne peut l'être, ton génie est d'avancer dans la déchirure, ton génie c'est de traiter avec l'amour sans intermédiaire, d'égal à égal, et tant pis pour le reste. D'ailleurs quel reste ? "


    Christian Bobin  -  La plus que vive

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  •  Un animal nocturne, voilà ce qu j'étais devenu, à force de solitude; à cause aussi du rapport que j'entretenais avec cette chienne dont, régulièrement, on m’envoyait débarrasser les portées: tâche dont j'ai appris à m’acquitter sans rechigner, pour ne pas perdre la face, comprenant que, comme celle des poulets, la mort de ces chiots à peine sortis du ventre de leur mère faisait, comment le dire autrement, partie de ma vie, et que je ne pourrais demeurer à Siom sans tuer ces chiots et ces chatons dont j’étais libre ( une liberté à laquelle je n'ai jamais cessé de penser, obscurément ou avec effroi, comme si ces petites bêtes encore aveugles continuaient à gémir dans les ténèbres, à en appeler à je ne sais quelle justice qui dépassât le seul principe de vie et me rendait criminel), libre de choisir la mort, me refusant à les noyer dans le lac ou à les enterrer vivants, comme on le faisait d'ordinaires, préférant les assommer à coup de bâton, sur une pierre plate, au milieu d'un ruisseau, faisant éclater ces crânes comme des bogues de châtaignes, le plus rapidement possible, avec la bénédiction de la vieille Roche qui, me voyant monter un jour vers la Croix des Rameaux avec ma besace gémissante, me demanda où j'allais et, sur ce que je lui répondis, me dit, d'un ton à la fois léger et lointain, comme si nos évoquions sa propre mort: "Il faut bien que quelqu'un le fasse ..."

    On savait que, comme le soleil, comme l'origine des origines, la mort ne se laissait regarder qu’au crépuscule, ou en songe.

    "Ma vie parmi les ombres" Richard Millet

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    La rencontre avec la Femme sans Nez constitue un tournant dans leur vie. Ils reviendront souvent dans sa cuisine et progressivement naîtra entre eux une grande intimité. Cette année-là, Hans Olofson a treize ans, Sture en a quinze. Ils seront toujours bien accueillis chez la Femme sans Nez. Dans un accord muet, ils n'aborderont jamais histoire de la corneille décapitée. Ils présenteront des excuses silencieuses, ils recevront le pardon. L vie leur a présenté l'autre joue.
    Ils découvrent que la Femme sans Nez a un nom. Un vrai. Et pas n'importe lequel. Elle s'appelle Janine, un nom qui exhale une douce odeur d'étrangeté et de mystère.
    Elle a un nom, une voix, un corps. Et elle est encore jeune, elle n'a même pas trente ans. Quand ils parviennent à faire abstraction du trou entre les yeux, ils discernent chez elle une faible lueur  de beauté. Ils devinent ses battements de coeur, ses envies, ses rêves, et ils se rendent compte de sa vivacité intellectuelle. Elle les guide à travers l'histoire de sa vie, elle leur permet d'assister à la minute épouvantable où elle comprend que le chirurgien a amputé son nez, elle les emmène nager dans le fleuve pour partager avec eux le moment où ses poumons sont sur le point d'exploser. Ils l'accompagnent jusqu'au banc de pénitence de Hurrrapelle, goûtent au mystère de la rédemption et assistent finalement avec elle à la découverte de la fourmilière dans sa cuisine.
    Cette année-là, un étonnant sentiment amoureux s'installe entre les trois être.
    Une fleur sauvage prend racine dans la maison sur la rive sud...

    "L'oeil du léopard" Henning Mankell

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    "Bien des fois par la suite, j'ai retrouvé cette idée de la "survie" dans les sens les plus divers de ce mot et avec toutes les nuances imaginables, depuis l'instinct de conservation jusqu’à l'antique "affirmation de soi face à la destruction", depuis le désir animal de s'échapper des griffes de l'ennemi jusqu'à l'aspiration sublime de conserver l'ultime liberté de parole. La part animale et la part spirituelle en l'homme ont souvent la même racine. Se raccrocher à un brin d'herbe quand on est au-dessus d'un abîme  ou transmettre le manuscrit de son roman au voyageur qui quitte Moscou pour l'Occident, c'est obéir à une même nécessité."
     
    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova *
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    J'ai eu l'occasion de fréquenter beaucoup de monde au cours de ma longue vie, et j'ai appris qu'il y a des gens dont on peut faire le tour en une soirée, en une semaine ou en une année, alors qu'il en est d'autres dont on n'arrive jamais à épuiser les richesses. Chez ces derniers il se passe à chaque instant quelque chose: ça bouge, ça travaille, ça remue, ça disparaît pour réapparaître à nouveau. Des rouages se mettent en marche, des ressorts se tendent, des aiguilles oscillent, des barrières s'ouvrent, des feux clignotent et parfois même on a l'impression d'entendre ce qui se déroule dans leur crâne: la chaîne avance, les transmissions sifflent, les moteurs vrombissent. Avec les personnes plus simples, les relations sont également plus simples et se fondent exclusivement sur la sympathie réciproque, ou parfois l'attachement. Des années durant se prolonge une conversation banale qui a débuté un jour, par hasard, et qui ne mène jamais nulle part.

    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova

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