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    Ce n'est pas pour rien, je le comprends chaque jour davantage, que je me suis toujours cramponné à mes souvenirs d'enfance; ce n'est pas pour rien que j'ai attaché une tell importance aux "gosses de la rue", à notre vie commune, à nos efforts pour trouver la vérité, pour comprendre l'ordre pervers de l société dans les mailles de laquelle nous nous trouvions pris et dont nous cherchions vainement à nous libérer.
    Tout comme il y a deux ordres de connaissances humines, deux sortes de sagesse, deux traditions, deux tout, de même dans notre enfance nous avions compris qu’il existait deux sources d'instruction : ce que nous découvrions nous-mêmes t que nous nous efforcions de garder pour nous, et puis ce qu'on nous enseignait à l'école et qui nous semblait non seulement futile et sans intérêt, mais diaboliquement faux et perverti.Ce que nous puisions à la première source nous nourrissait, alors que l'enseignement officiel nous minait. Et cela "à la lettre t dans tous les sens du mot", comme disait Rimbaud.

    Tous garçon digne de ce nom est un rebelle et un anarchiste. Si on le laissait se développer suivant ses instincts et ses tendances, la société subirait une transformation si radicale que le révolutionnaire adulte n'aurait plus qu'à se faire tout petit et tremblant. La société ne serait plus une organisation confortable et bienveillante, elle refléterait la justice, la splendeur et l'intégrité. Le pouls de la vie s'en trouverait accéléré, la vie sortirait de ses cadres. Et pourrait-on imaginer perspective  plus affolante pour les adultes?

    "Les livres de ma vie" Henry Miller

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    Le chemin de la vie mène à la plénitude, quel que soit son aboutissement. Remettre un être humain dans le courant de la vie, ne signifie pas seulement lui insuffler la confiance en soi, mais une foi soumise et totale dans le processus de vie. Un homme qui a confiance en lui-même doit avoir confiance dans les autres comme dans 'exactitude et l raison de l’Univers. Quand un homme est ainsi solidement amarré à ses ancres, il cesse de se soucier de l'exactitude des choses, du comportement de ses frères, du bien et du mal, du juste et de l'injuste. Si ses racines plongent dans le courant de vie, il flottera comme un lotus, s'épanouira et portera fruit. Sa nourriture, il la recevra d'en comme d'en bas; il enfoncera de plus n plus profondément ses racines, ne craignant pas plus les abîmes que les cimes. La vie qui est en lui trouvera son expression dans la croissance, laquelle est un processus sans fin, éternel. Il n'aura pas peut de passer comme l'herbe des champs, car le déclin et la mort font partie de la croissance. Semencier il fut en son début, retournera semence. Commencement et fin ne sont que des étapes partielles du processus éternel. Seul, compte: le processus ... le chemin ... Tao.

    "Sexus" Henry Millet *

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  • " Mes vêtements crépitaient, la peau de mon ventre se fendait, la graisse grésillait, le feu rugissait dans mes orbites et ma bouche et nettoyait l'intérieur de mon crâne. L'embrasement était si intense qu'elle dut détourner la tête. Je me calcinai, mes restes se transformaient en statue de sel; vite refroidis, des morceaux se détachaient, d'abord une épaule, puis une main, puis la moitié de la tête. Enfin je m'effondrai entièrement à ses pieds et le vent balaya ce tas de sel et le dispersa. Déjà l'officier suivant s'avançait, et quand tous furent passés, on la pendit. Des jours durant je réfléchis à cette scène étrange; mais ma réflexion se dressait devant moi comme un miroir, et ne me renvoyait jamais que ma propre image, inversée certes, mais fidèle. Le corps de cette fille aussi était pour moi un miroir. La corde s'était cassée ou on l'avait coupée, et elle gisait dans la neige du jardin des Syndicats, la nuque brisée, les lèvres gonflées, un sein dénudé rongé par les chiens. Ses cheveux rêches formaient une crête de méduse autour de sa tête et elle me semblait fabuleusement belle, habitant la mort comme une idole, Notre-Dame-des-Neiges. Quel que fût le chemin que je prenais pour me rendre de l'hôtel à nos bureaux, je la trouvais toujours couchée sur mon passage, une question têtue, bornée, qui me projetait dans un labyrinthe de vaines spéculations et me faisait perdre pied. Cela dura des semaines."

     

    Jonathan Littell  "Les bienveillantes"

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    "L’histoire du monde me remplit de doutes maintenant, je n'y trouve ni justice, ni bonté, ni beauté. Il y en a encore moins que dans la nature. Je n'écris rien , je n'y arrive pas et je n'en ai pas envie.  Pourquoi d'ailleurs écrirai-je et pour qui? J'ai toujours aimé être entourée d'amis et maintenant je suis privée de ces êtres qui m'étaient chers, même s'ils n'étaient pas forcement des gens "aimables". Certains sont morts, d'autres sont partis, d'autres sont happés par leur destin. Le plus terrible, c'est que même ceux-là, je n'ai pas envie de les voir..."

    "C'est moi qui souligne" Nina Berberova *

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    Elle restait immobile dans la même position. Elle  ressemblait à un petit animal nocturne attiré par le clair de lune. L'ombre de ses lèvres était amplifiée par l'angle du rayon de lune. Cette ombre qui semblait si fragile tremblotait au rythme de son coeur. Comme si ses lèvres chuchotaient des mots inaudibles à l'adresse des ténèbres.
    J'avalai ma salive pour essayer de rafraichir ma gorge desséchée et le bruit que je fis résonna fortement dans le calme de la nuit. Alors, comme répondant à un signal, Naoko se releva et vint s'agenouiller sur le sol à mon chevet, dans un léger froissement de tissu, pour me regarder dans les yeux. Je lui rendis son  égard, mais ses yeux ne me parlaient pas. Ses prunelles étaient d'une limpidité presque artificielle, et j'eus l'impression que je pourrais peut-être apercevoir l'autre monde à travers elles. J'eus beau regarder, je ne vis rien. Nos deux visages étaient  élongés d'à peine trente centimètres, mais il me semblait qu'elle se trouvait à des années-lumière de moi.
    Je tendis la main pour essayer de la toucher, mais elle se recula rapidement. Ses lèvres frémirent. Elle leva les deux mains et commença lentement à déboutonner sa robe de chambre. Il y avait sept boutons en tout. J'observais ses beaux doigts fins déboutonnant les boutons l'n après l'autre, et je croyais rêver. Quant elle eut entièrement déboutonné ces sept petits boutons bancs, elle enleva sa robe de chambre en la faisant glisser sur ses hanches, comme un insecte lors de la mue, et se retrouva nue. Elle n'avait rien dessous. La seule chose qu'elle avait sur elle était cette barrette en forme de papillon. Maintenant qu'elle avait enlevé sa robe de chambre, elle me regardait, toujours agenouillée sur le sol. Son corps, éclairé par la douce lumière émanant de la lune, était comme un corps neuf, tout juste né. Quand elle bougea, d'un mouvement imperceptible, les parties de son corps éclairées par la lune se déplacèrent curieusement, et les ombres qui rehaussaient ses courbes se modifièrent. Les rondeurs de sa poitrine, ses petits mamelons, le creux du nombril, l'ombre granuleuse des hanches et des poils pubiens changeaient de forme exactement comme les cercles concentriques aux reflets multiples évoluant à la surface d'un lac paisible.

    Je réalisai que son corps avait atteint sa perfection. A quel moment s'était-il transformé de cette manière? Et où était donc passé celui que j'avais serré dans mes bras en cette nuit de printemps?

    "La ballade de l'impossible" Haruki Murakami *

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