• La crise de la culture (3)

    Agir dans la nature, transporter l'imprévisibilité humaine dans un domaine où l'on est confronté à des forces élémentaires qu'on ne sera peut-être jamais capable de contrôler sûrement, est assez dangereux. Encore plus dangereux serait-il de méconnaître que, pour la première fois dans notre histoire, la capacité humaine d'action a commencé de dominer toutes les autres - la capacité d'étonnement de pensée dans la contemplation non moins que les capacités de l'homo faber et de l'animal laborans humain. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les hommes désormais ne seront plus capables de fabriquer des choses ou de penser ou de travailler. Ce ne sont pas les capacités de l'homme, mais la constellation qui ordonne leurs rapports mutuels qui peuvent changer et changent effectivement dans l'histoire. De tels changements peuvent être le mieux observés à travers les auto-interprétations changeantes de l'homme au cours de l'histoire; celles-ci, bien qu'elles ne permettent peut-être aucunement de déterminer le "quoi" ultime de la nature humaine, sont encore les témoignages les plus brefs et les plus succincts de l'esprit d'époque entière. Ainsi, schématiquement parlant, l'Antiquité classique fut unanime à penser que la forme la plus haute de la vie humaine avait son lieu dans la polis et que la capacité humaine suprême était la parole - zôon politikon et zôon logon ekhon, dans la célèbre double définition d'Aristote; Rome et la philosophie médiévale définirent l'homme comme l'animal rationale; aux stades initiaux de l'époque moderne, l'homme fût pensé d'abord comme homo faber, jusqu'à ce qu'au XIX siècle l'homme fût interprété comme un animal laborans dont le métabolisme avec la nature donnait la plus haute productivité dont la vie humaine fût capable.  Par opposition à ces définitions schématiques, il serait adéquat pour le monde où nous en sommes venus à vivre de définir l'homme comme un être capable d'action, car cette capacité paraît être devenue le centre de toutes les autres possibilités humaines.

    Il est hors de doute que la capacité d'agir est la plus dangereuse de toutes les facultés et possibilités humaines, et il est également hors de doute que les risques, créés par elle-même, que l'humanité affronte aujourd'hui n'ont jamais été présents auparavant. Des considérations comme celles-ci n'ont aucunement pour but d'offrir des solutions ou de donner des conseils. Au mieux, elles pourraient encourager une réflexion soutenue et plus serrée sur la nature et les potentialités intrinsèques de l'action, qui n'a jamais auparavant révélé aussi ouvertement sa grandeur et ses dangers.

    Le concept d'histoire : antique et moderne  Hannah Arendt

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