• Divine Bontemps (suite)

    Tout à coup, René tomba malade de la fièvre typhoïde ; vu sa situation, le docteur défendit formellement à Divine d’approcher l’enfant ; mais il avait compté sans ce cœur étrange. Dès la première heure, l’âme, on eût dit, pénitente, elle s’installa près du  petit, et, pendant dix jours, malgré toutes les instances, vécut dans la chambre empoisonnée, dormant à peine quelques heures çà et là, sur un fauteuil, et ne quittant point ses vêtements. Elle subissait la sublime fascination du sacrifice ; son dévouement avait quelque chose d’irrésistible et d’égaré ; et elle marchait, transfigurée, dans l’air de feu de l’héroïsme pur.

    René fut sauvé ; mais trop d’émotions l’avaient assaillie ; sa santé était irrémédiablement compromise, et elle mit au monde, à travers mille souffrances, un enfant qui ne vécut que quelques jours.

    Ainsi la vie s’acharnait sur elle ; et, à voir ses coups redoublés, on pouvait penser que la Destinée voulait parachever son œuvre, développer jusqu’au bout l’harmonieux martyre d’une créature choisie, et faire exprimer à cette âme, macérée dans la douleur, son parfum le plus suave.

    Après de passagères et instinctives secousses  dans sa chair maternelle, Divine accepta ce deuil suprême avec l’insondable douceur des résignations professionnelles. Ah ! combien souvent son cœur s’élançait vers la paix définitive des couvents ; derrière leurs grandes murailles ouatées de silence, le repos eût été si doux à son âme fatiguée ; et, bien des fois, aspirant la fraîcheur lointaine des blanches cellules et des longs corridors dallés de pierre bleue, elle tendait les bras vers ces calmes retraites, qui sont comme les antichambres de la mort. Mais elle se devait à son mari, bien qu’après l’affreuse épreuve elle ne se sentît plus la force de recommencer la vie ; et puis René était là, l’enfant qu’elle avait sauvé et qu’un nouveau baptême de douleur avait en quelque sorte fait sien.

    suite...