• Divine Bontemps (suite)

    Elle passa ainsi des semaines, secouée jusqu’aux fibres de crises convulsives, qui la jetaient tour à tour aux résolutions les plus contradictoires. Elle ramassait tout son courage, se fortifiait de certains indices favorables, d’une parole ou d’un sourire où elle retrouvait un peu de l’ancienne douceur ; puis, l’instant d’après, reculait, effarée, devant l’insurmontable répulsion de trahir, fût-ce par un geste, la pensée dont elle était pleine.

     

    Sur ces entrefaites, le père d’une de ses amies, Lydie Morin, qui avait une importante usine à quelques lieues de là, invitait  Maurice à venir y étudier quelques améliorations. Le jeune homme accepta, demeura trois mois à la campagne ; et, quand il revint, il était fiancé à Lydie.

     

    Ce fut pour Divine un coup terrible. Comme il arrive souvent, elle avait envisagé toutes les éventualités, sans imaginer précisément la plus douloureuse.

    Quelques jours plus tard, un soir, dans sa chambre, comme elle arrangeait ses cheveux pour la nuit, prise soudain d’une lassitude infinie dans tous ses membres, elle alla s’accouder à la fenêtre et respira à larges traits la fraîcheur nocturne. C’était au printemps. Il avait fait un orage dans la soirée, des flaques d’eau luisaient encore çà et là dans les dépressions du pavé ; d’en bas montait une odeur pénétrante de poussière mouillée et de verdures rafraîchies ; et, par moments, des brises passaient, douces à fermer les yeux. Divine restait là, immobile, sa lourde chevelure pendant d’un côté, et elle sentait, dans  son cœur comme dans sa chair, un découragement sans bornes. Tout à coup, sur le large trottoir de l’avenue, en face d’elle, elle aperçut Lydie et Maurice qui revenaient ensemble de quelque fête de famille. Ils allaient lentement, d’un pas attardé d’amoureux, et, dans le silence du quartier désert, le bruit de leur voix était presque perceptible. Divine s’était penchée ; elle les suivait d’un regard éperdu et fixe, et, quand ils furent entrés dans l’ombre plus épaisse des arbres, elle se laissa glisser sur les genoux, le cœur déchiré fibre à fibre d’une atroce souffrance, et, sans une plainte, s’évanouit.  

    suite...