• Deux souliers (5)

    Après avoir curieusement parcouru, scruté et exploré le logis magnifique qu’elle occupait depuis la veille,  la grosse fillette s’orna sans rien dire de tous les présents qui avaient plu dans son sabot, jeta de travers sur ses épaules le vestige fané qu’elle appelait « son châle, » posa sur le buisson inextricable de ses boucles un bonnet de laine, et se présenta, ainsi équipée, devant un grand laquais qui se tenait debout dans l’antichambre :

    — Je veux voir maman, déclara-t-elle en levant vers lui sa figure ingénue.

    — Où demeure-t-elle, ta mère ? demanda le laquais ironique sans se déranger.

    — Je trouverai bien. Ouvrez-moi seulement cette grande porte.  

    Le serviteur galonné se mit à rire en analysant le bizarre accoutrement de son interlocutrice.

    Elle le regardait avec ses grands yeux naïfs, et attendait. Quand, à la fin, il se décida à ouvrir les deux énormes battants de la porte massive, elle se retourna une dernière fois vers sa compagne, lui sourit doucement en manière d’adieu, et, serrant plus fortement ses trésors, pour ne pas les perdre en route, elle partit en courant.

    C’est alors que le petit sabot se remit à patauger en expert, et que les polichinelles et les poupées, étroitement emprisonnés entre ses bras,  eurent leurs cheveux joliment ébouriffés par les collisions diverses qu’ils subirent avec les passants, les poteaux de reverbères, que sais-je encore !

    Et, ma foi, tout était pour le mieux.

    Ces personnalités élégantes, en leur mise irréprochable, se fussent trouvées bien dépaysées dans le logis où les conduisait leur petite maîtresse.

    L’emmêlement de leurs chevelures, et les menues avaries que reçurent leurs toilettes pendant le trajet, les firent accueillir comme de la famille chez leurs nouveaux hôtes.

    Après une très longue course, notre amie s’arrêta devant une bicoque, et  frappa la porte du pied en appelant sa mère.

    Elle tomba dans les bras de celle-ci, toute bourrée de ses cadeaux, cherchant à les garantir jusque dans la chaleur de l’étreinte maternelle.

    Aux questions empressées : « D’où viens-tu, chère enfant ? Qu’as-tu fait ? Où as-tu passé la nuit ? » la fillette ne répondait rien. Elle exhibait à ses petits frères son riche butin, ses yeux brillant du plaisir de se retrouver dans la misère et l’intimité de sa cahutte.

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