• Deux souliers (4)

    Deux voix enfantines éclatèrent ensemble comme un délicieux chant d’oiseaux, emplissant le vaste palais d’échos inconnus.

    En même temps une mère folle de joie accourait, élevait dans ses bras son enfant ravivée, et s’écriait en la pressant passionnément sur son cœur :

    — Ma prière est exaucée ! Soyez béni, Seigneur !

    « Qui donne au pauvre prête à  Dieu, » dit un touchant enseignement. Dans le cas actuel, le tout-puissant débiteur avait royalement soldé sa dette, rendant un trésor pour une obole — une vie chère pour un abri donné à l’orphelin.

    Le partage avait été judicieusement fait par le délégué de la Providence. Les deux souliers, sans distinction d’élégance ou de difformité, avaient été surchargés de bonbons et de jouets.

    Tout cela était merveille et nouveauté pour la naïve propriétaire du vilain soulier.

    La veille, dans le tumulte d’une  grande rue, un groupe de passants l’avait séparée de sa mère. Voulant la rejoindre et courant en tous sens la pauvre mignonne se perdit.

    Alors lasse et désolée, elle s’arrêta et se mit à sangloter dans son châle, murmurant tout bas l’appel qu’elle avait longtemps répété avec des cris déchirants :

    — Maman ! maman ! soupirait-elle comme une invocation, tandis que son petit cœur éclatait.

    Soudain, elle sentit que l’on abaissait doucement ses mains. Une grande dame, toute enveloppée de fourrures, penchée vers elle, lui demandait tendrement :

    — Pourquoi pleures-tu, mon enfant ?  

    Cette belle femme douce et triste l’avait fait monter dans une superbe voiture, et l’avait emmenée en un palais éblouissant ou la pauvresse fut choyée, dorlotée, à un tel point que le souvenir de son malheur en devint moins cuisant.

    Elle avait aussi trouvé, sous le toit hospitalier de sa bienfaitrice, un ange consolateur.

    C’était une enfant frêle, avec de grands yeux pensifs où il y avait quelque chose de profond et de serein qui étonnait, en la subjuguant, la simple fillette.

    La belle dame contemplait avec attendrissement ces deux gracieuses  créatures s’observant avec curiosité et causant en leur langage d’oiseaux.

    Elle vint se mettre à genoux près du joli groupe, et ses yeux tout pleins de larmes, allant de l’une à l’autre, semblaient les comparer.

    — Que je serais heureuse ! répétait-elle, que je serais heureuse !

    Prenant entre ses mains la tête angélique de sa fille et la baisant avec tendresse : —

    Prie le bon Dieu avec moi, qu’il te fasse ressembler à cette chère petite ! lui dit-elle.

    Les âmes innocentes s’entendent bien entre elles. Les deux bébés devinrent bientôt les plus grandes amies du monde. L’une essuyait les  larmes de l’autre, qui finissait par sourire aux caresses de sa douce protectrice.

    Quand sa belle amie mit sa précieuse pantoufle sur le foyer, la pauvre enfant perdue l’imita naïvement, et les compagnes, gentilles à ravir dans leur posture d’anges, joignirent les mains et prièrent ensemble le petit Noël de s’en souvenir.

    Comme on l’a vu, leurs vœux furent accomplis.

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