• Chagrin d'amour

     

     

    Tout a débuté il y a huit mois. Je venais de vivre un chagrin d'amour si bête qu'il vaut mieux ne pas en parler. A ma souffrance s'ajoutait la honte de ma souffrance. Pour m'interdire une telle douleur, je m'arrachai le cœur. L'opération fut facile mais peu efficace. Le siège de la peine restait, qui logeait partout, sous et sur ma peau, dans mes yeux, mes oreilles.Mes sens étaient mes ennemis qui ne cessaient de me rappeler cette stupide histoire.
    Je décidai alors de tuer mes sensations. Il me suffit de trouver le commutateur intérieur et de basculer dans le monde du ni-chauds-ni-froids. Ce fut un suicide sensoriel, le commencement d'une nouvelle existence.
    Dès lors, je n'eus plus mal. Je n'eus plus rien. La chape de plomb qui bloquait ma respiration disparut. Le reste aussi. J'habitais une sorte de néant.
    Passé le soulagement, je me mis à m'ennuyer ferme. Je songeai à rebasculer le commutateur intérieur et m'aperçus que ce n'était pas possible. Je m'en inquiétai.

    Les musiques qui m'émouvaient auparavant ne provoquaient plus rien en moi, même les sensations de base, comme manger, boire, prendre un bain, me laissaient de marbre. J'étais châtré de partout.
    La disparition des sentiments ne me pesa pas. La voix de ma mère, au téléphone, n'était plus qu'un embêtement évoquant une fuite d'eau. Je cessai de m'inquiéter pour elle. C'était plutôt bien.
    Pour le reste, ça ne m'allait pas. La vie était devenue la mort.

    "Journal d'hirondelle"  Amélie Nothomb *

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